Spathodus marlieri
… Expériences de maintenances …
Introduction:
Cichlidé faisant partie du groupe des “gobies” du lac Tanganyika, nous allons décrire ici une expérience de maintenance en aquarium. Cette expérience tentera de démontrer que S. marlieri, s’il est agressif avec d’autres brouteurs (tous les autres ?), est au contraire totalement impassible avec d’autres espèces, des espèces sages et fragiles. Cette expérience n’est pas des plus enivrantes, mais elle doit être partagée.
Description:
Un faux air d’Eretmodus, un soupçon de ressemblance avec Tanganicodus, une larme morphologique d’Orthochromis, voilà à quoi ressemble notre modèle d’aujourd’hui, c’est un “gobie” du lac Tanganyika… Des ponctuations bleues sur l’avant du corps, des barres plus foncées, selon l’humeur, apparaissent tout le long du corps, un museau plus arrondi qu’Eretmodus, mais moins que Tanganicodus, monsieur mesure généralement un tiers de plus que madame, c’est-à-dire jusqu’à 10 cm. Spathodus erythrodon, son cousin n’est pas bossu, par contre comme son nom l’indique il a les dents rouges (en fait S. marlieri les a aussi), ils possèdent de longues dents effilées en spatules.
Est-il porte-bonheur ?
Qui aura touché sa bosse et pourra nous le dire ?
Hé oui, monsieur est affublé d’une gibbosité frontale qui lui donne un profil on ne peut plus bourru.
Maintenance:
Un couple a donc été acclimaté dans un bac de 450 litres, ses colocataires sont un petit groupe de Xenotilapia nasus, et un groupe de jeune Paracyprichromis nigripinnis.
L’aménagement intérieur est fait de deux gros amas de roches (meulières) séparés par une plage de sable fin, 2 – 3 pieds de Cryptocoryne usteriana agrémentent de verdure, le tout. Dans cet espace tout se passe tranquillement, monsieur et madame passe du temps ensemble, parfois une querelle les fait sprinter tout autour du bac… C’est bien sûr le mâle qui poursuit la femelle, elle le sème et aime se réfugier sous de petits surplombs sombres, en passant, empruntant des failles que monsieur ne peut franchir pour cause d’embonpoint marqué.
Les voici donc, coulant des jours heureux, sans haine et sans violence… Broutant parfois les quelques algues présentes sur les roches. Ils ont d’ailleurs une technique singulière, ils ne broutent pas de face comme Eretmodus par exemple, mais raclent de côté, leur bouche étant plutôt arrondie, ils inclinent le corps d’un côté ou de l’autre pour prélever des bouchées du périphyton. Peut-on dire qu’il broute ? Non, il semble plus arracher des bouchées que ratisser méthodiquement le substrat. On peut noter certaines préférences pour un côté plus que l’autre (sont-ils dextres ou senestres ?).
Max Poll nous apprend que “les contenus stomacaux étaient constitués de grains de sable et plaquettes d’argiles (matières ballasts ndlr), de thalles ramifiés de Chaldophoracée, filaments de Spyrogira. Très nombreuses diatomées : Nitzschia, Synedra, Ephitemia, Rhopalodia, Navicula (épiphytes). Quelques spicules d’éponges et débris d’arthropodes, copépodes, larves. Quelques débris amorphes végétaux et animaux. Nourriture intéressante et caractéristique qui démontre bien que l’habitat du Spathodus marlieri se situe parmi les pierres des rives rocheuses du lac sur lesquelles ce poisson trouve les algues et les microorganismes parfois animaux dont il se nourrit.”
Cette espèce est très calme lorsqu’elle est en présence de sabulicoles, il peut tout à fait être envisagé de leur adjoindre des ectodini. Occupant les roches, ils ne dérangeront pas un mâle sur son cratère (Lestradea perspicax ou Ectodus descampsii par exemple), et pourront être tranquillement repoussés par un couple gardant son frai (Xenotilapia papilio par exemple). Les pires colocataires qui peuvent leur être adjoints sont les Tropheus, contre qui “ils ont une dent”, ou autres “gobies” du lac. Pour l’anecdote, le mâle de cet article nous paraissait placide tel un “pacha”, pas d’ombre au tableau… Au bout de quelques temps, je l’ai donné, et là en quelques minutes j’ai pu le voir changer du tout au tout. Il commença par chasser de son “nid”, un mâle Tropheus de “Ikola” (dominant du bac), et agressa tous les autres qui passaient à proximité ! Tout ceci pour dire qu’il faut toujours être méfiant sur le caractère d’une espèce, et ne jamais faire une généralité d’une seule expérience personnelle, avec les cichlidés. Une expérience dans d’autres conditions avec ce mâle a également donné un autre comportement en présence de brouteurs.
Bac de 100*90*60 avec filtration sur mousse plus pompe de brassage; l’empierrement est au maximum de hauteur.
-1ere population : Neolamprologus leleupi + Neolamprologus brichardi “Magara” + colonie de Neolamprologus similis.
14 petits dont 9 noirs et 5 clairs, après 31 jours d’incubation (femelle pêchée puis mise dans bac de 200 l).
-2e population : Tropheus sp. black “Mboko” (1 mâle/3femelles) + Neolamprologus similis + Neolamprologus leleupi
25 petits de la même couleur après 30 jours d’incubation.
Interactions dans 2e population :
Aucun problème entre les Spathodus et les Tropheus, mais petite population; le seul soucis vient du mâle N. similis : une carne envers les Tropheus et les Spathodus actuellement, ils sont avec 1 couple d’Eretmodus sp. “Kigoma” + 4 Telmatochromis brichardi “Magara” + 1 jeune couple de Xenotilapia flavipinnis “Kasanga” + 1 mâle Neolamprologus calliurus + 1 femelle Julidochromis regani ; 1 seule incubation, mais avortée au bout de 3 jours et ce dans dans 150*70*50; changement de la population prochainement, dans le 100*90*60 en compagnie du couple N. longicaudatus “Ubwari”.
Reproduction:
Un certain trouble règne sur la façon dont cette espèce se reproduit, en effet, une partie de la littérature indique que Spathodus marlieri est incubateur buccal bi-parental. Malheureusement, la plupart des observations récentes, tendent à démontrer que S. marlieri est incubateur buccal maternel, aucun partage n’ayant été observé. Pour mettre un bémol à cette généralité, Patrick Tawil, quant à lui, a observé chez son couple un partage des larves entre le mâle et la femelle.
Observations de Patrick Tawil :
“Dès les premières importations de Spathodus marlieri, en 1979, j’ai pu observer chez un ami qui le reproduisait régulièrement, ainsi que Eretmodus cyanostictus (alors appelé Spathodus sp. “Zambie”), qu’il s’agissait d’un incubateur buccal biparental, chez lequel les liens du couple étaient maintenus. Nous ignorions d’ailleurs à cette époque que les cichlidés-gobies étaient bi-parentaux, et ce fut pour nous une très intéressante surprise. Par la suite, j’ai été surpris de lire que cette espèce était considérée comme monoparentale. J’en venais à me demander si ma mémoire me jouait des tours, et pour en avoir le coeur net, j’ai maintenu deux mâles et trois femelles dans mes bacs. L’un des deux mâles a repris les incubations à la suite de sa femelle à deux reprises, mais ce comportement a disparu par
la suite. Quant à l’autre mâle, il n’a jamais conservé de lien avec sa femelle après la ponte. De nombreuses observations d’autres aquariophiles dignes de foi vont dans ce sens, ce qui prouverait que la rupture des liens tend à être la règle, du moins en aquarium. A noter que j’ai observé également chez d’autres cichlidés-gobies une tendance des mâles à chasser leur femelle après la ponte, par exemple chez Tanganicodus sp. “Moba”, mais là encore, ce n’était pas systématique, et cela survenait généralement à la suite d’une perturbation (changement d’eau).” Le dimorphisme prononcé de l’espèce, est aussi un signe qui nous “parle” d’incubation monoparentale.
La période (une petite semaine) qui précède la ponte, est une phase de paix et de félicité dans le bac. Plus aucune course poursuite n’est observée, au contraire les deux partenaires resserrent les liens qui les lient. De plus en plus on les trouve côte à côte, la femelle se frottant au mâle, son oviducte devenant de plus en plus proéminent. Pas de ponte observée malheureusement, juste des simulacres lors des prémices. Ces observations menant à une conclusion naturelle : une “danse” typique des gobies, et autres brouteurs, la position en “T” étant, semble-t-il, adoptée pour la prise en bouche et la fécondation des ovules. 20 à 30 oeufs sont ainsi fécondés.
L’incubation est assez courte, à 24/25° 22 jours sont suffisants, les larves ayant résorbé le vitellus. Comme d’autres “gobies”, les alevins sont de deux pigmentations différentes, certains très foncés, certains très clairs. Il ne semble pas que cela soit un dimorphisme précoce, en effet, nous avons été plusieurs à les surveiller, et à constater que certains jours tous sont clairs, et certains autres, tous sont foncés (à quelques exceptions, aléatoires, près).
Leur croissance est plutôt lente, ils mesurent 2,5 cm à 5 mois, bien nourris de paillettes pour alevins, paillettes à la spiruline réduite en poudre, et micro-vers.
Alevins de Spathodus marlieri en aquarium.
Il est à noter que les jeunes sont extrêmement virulents entre eux, et un maximum de surface au sol doit leur être offerte, sans aucun support territorial (sable nu), et il faut les séparer par petits groupes au fur et à mesure de leur croissance.
Conclusions:
Espèce atypique, Spathodus marlieri peut être un bon locataire pour qui désire découvrir les “gobies” du lac Tanganyika. N’étant pas un “brouteur” au sens alimentaire du terme, il peut tout à fait être maintenu avec des lamprologiens ou des ectodini, et partager leur nourriture, bien sûr un fort apport végétal est recommandé pour qu’il se sente bien. Un couple dans un aquarium de 450 litres sera très à l’aise, disons que le volume minimum pour cette espèce se situe dans les 2/300 litres avec énormément d’enrochements pour que la femelle puisse se soustraire aux “crises” du mâle, et assurer sa tranquillité lors de l’incubation.
Remerciements:
à Patrick Tawil pour ses documents et son témoignage, ainsi qu’à Eric Dasmien (Eric41) pour ses photographies et ses expériences diverses avec cette espèce.
Bibliographie : Exploration hydrobiologique du lac Tanganika (1946-1947)Vol. II, fasc. 1 INSTITUT ROYAL DES SCIENCES NATURELLES DE BELGIQUE / BRUXELLES 1956.