Le biotope rocheux au lac Tanganyika

Le biotope rocheux au lac Tanganyika

Sur les deux milles kilomètres de côtes, que compte le lac Tanganyika,

les biotopes se répartissent comme suit :

  • Roches : 43 %
  • Sable : 31 %
  • Intermédiaire (roches et sables) : 21 %
  • Marais : 5 %

Le biotope rocheux est de loin le plus représentatif du lac, nous allons donc le visiter.

Mvuna

C’est là que se trouve la plus grande diversité de vie, de spécialisations et d’occupations des niches écologiques.

Le lac Tanganyika se trouve sur le grand rift africain, et est le résultat d’un effondrement, ses rives révèlent le chaos tectoniques des 12 à 15 millions d’années qui précèdent. Dans maints secteurs, des à-pics rocheux, se poursuivent sous la surface de l’eau. C’est dans ce chaos que vivent et se reproduisent des centaines d’espèces de poissons, cichlidés, et non cichlidés.

Nous pouvons aussi y rencontrer des crevettes, des crabes, des éponges, des méduses, escargots, moules etc.

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Les crabes sont d’un seul genre, Potamonautes, ils vivent reclus sous les roches, passant leur vie sous l’eau, ici aucune espèce n’est terrestre. Caché sous les roches, ils nettoient les cadavres trainant sur le fond, les détritus organiques de toutes sortes y passent. Un omnivore opportuniste rappelant nos Tourteaux, mais en modèle réduit. Des espèces vivants dans les coquilles vides on même été découvertes par Heinz Büscher. Il est parfois possible de les observer en journée, passant de cachette en cachette, ils sont farouches.

L’endémisme est marqué ici par la présence d’éponges introuvables ailleurs, vertes, blanches ou orangé, elles font parties de la biologie de cet espace singulier.

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Les roches sont de deux types on trouve des zones à caractère schisteux, et d’autres zones à caractère granitique, cela pourrait ressembler à certaines de nos côtes françaises continentales ou de Corse. Ces bouleversements, provoquent des amas de mégalithes usés par le temps, qui sont d’un très bel effet esthétique.

Kemp

Un milieu riche, et pérenne, qui a permis une expression de l’évolution piscicole, incroyablement diversifiée.

Ce qui frappe tout d’abord, c’est l’omniprésence de certaines espèces, en commençant par la tribu des tropheini, c’est-à-dire les Petrochromis, toujours visibles de par leur stature, ils n’en sont pas moins farouches. Ils passent leur temps à parader et à brouter la roche. Le terme « brouter » est d’ailleurs inadapté, car de par leur dentition, ils n’arrachent pas les algues, ils les peignent et se nourrissent donc de ce qui les recouvrent, c’est-à-dire des diatomées, des cyanophycées (type Spirulina etc.), larves d’insectes et autres invertébrés divers. Ce sont les plus grands habitants des lieux, croisant au-dessus des roches, ils sont d’un naturel farouche et sont presque inapprochables. Grandes lèvres incrustées de dents nombreuses à la forme singulière.

Interochromis loockii

Interochromis loockii

Puis viennent les Tropheus, purs végétariens, eux préfèrent râper les algues et viennent souvent manger juste après les Petrochromis qui ont nettoyés la surface rocheuse. Incubateurs buccaux très évolués, leurs œufs sont énormes, et mesure 5 à 8 mm. Ils génèrent des alevins de grande taille. Prêts à vivre leur vie sans trop de risque d’être immédiatement dévorés, dès que la mère les lâche dans les rochers.

Tropheus duboisi

Tropheus duboisi

Un Tropheus se démarque des autres, d’abord par sa répartition très restreinte, et disséminée, il s’agit du T. duboisi, Celui ci est rencontré dans la partie nord Congo du lac, dans la région de Pemba, puis dans les localités de Kigoma, Kalago, Kabogo, Maswa et Helembe et Kalilani en Tanzanie, En y regardant de plus près, et en se référent à l’histoire du lac, nous pouvons constater qu’ils vivent d’un côté et de l’autre d’un des lacs ancien.

Un des attraits de cette espèce, se trouve dans la livrée unique des alevins, ils sont tous noir anthracite, ponctué de petites taches blanches, ce contraste est magique.

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Avant de ne faire qu’un, le Tanganyika était divisé en 2 puis 3 lacs, son niveau était de 500 mètres inférieur à l’actuel.

Simochromis et Petrochromis fasciolatus

Simochromis conf. babaulti et P. fasciolatus à Kekese.

Les Simochromis viennent aussi dans ces secteurs, mais sont nettement moins nombreux, notons la livrée contrastée des mâles en parade.

Eretmodus maksmithi

Eretmodus marksmithi

Une autre tribu vit directement de cette couverture végétale, ce sont les Eretmodini, Spathodus, Tanganicodus et Eretmodus.Ces charmants gobies sont toujours visibles dans la partie peu profonde.

Entre 0 et 1 mètre, ils sont toujours là, seuls, par couple, par petits groupes. Ces genres sont très remuants. La reproduction de ces cichlidés est une autre adaptation, en effet, ils sont incubateurs buccaux bi-parentaux, C’est-à-dire que les deux parents participent à l’incubation des œufs et larves, le passage de la progéniture est toujours un spectacle fascinant, et cela dure près d’un mois parfois.

Nous pouvons rencontrer un autre végétarien plus discret, il s’agit de Simochromis aff. babaulti, sa discrétion peut le faire passer totalement inaperçu, mais la livrée d’un mâle excité à de quoi attirer l’œil du plongeur.

Puis vient la tribu lamprologini, de plus petite taille, qui occupent les anfractuosités, creusant ça et là des excavations contre, ou sous les roches. Aimant aménager leur nid, dans des « cirques » de roches pour certains, tels les Neolamprologus mondabu ou Variabilichromis moorii, Paleolamprologus toae. Leurs aménagements leur permettent une garde efficace des alevins, contre les prédateurs éventuels.

Variabilichromis moorii à Molwe.

Nid de Variabilichromis moorii (zone couverte de longues algues filamenteuses).

D’autres genres sont représentés et nettement plus discrets, il s’agit des Telmatochromis, élancés ou trapus, ils occupent une place importante dans l’espace des anfractuosités, Vivants en famille pour les T. bifrenatus ou vittatus, en solitaire ou en couple pour les T. temporalis ou affiliés.

Ces espèces ne gardent que très peu leur progéniture, qui s’égaye rapidement dans le milieu. Leur pigmentation cryptique leur permettant de se fondre dans ce milieu hostile.

Neolamprologus brichardi

Neolamprologus brichardi – Île de Nkondwe

Des espèces très connues croisent en grand nombre par endroits, ce sont les Neolamprologus brichardi et pulcher, leur nageoire caudale en lyre et les dessins foncés de leurs joue ne trompent pas. C’est parfois par milliers que nous les croisons !

A là différence d’autres cousins telle Neolamprologus falcicula, dont les alevins colorés laisse un souvenir impérissable.

Parmi eux se trouve des mangeurs d’escargots, certains broient les ,coquilles, d’autres extraient les corps. Citons par exemple Neolamprologus tretocephalus pour les broyeurs et Neolamprologus mondabu et modestus pour les extracteurs.

Oeufs de Lepidiolamprolgus attenuatus

Oeufs de Lepidiolamprolgus attenuatus

Les prédateurs aussi pratiquent de la sorte, nous trouvons donc les Lepidiolamprologus, l’espèce la plus représentée est L. elongatus, les parents gardent de véritables nuages d’alevins, plusieurs centaines naissent à chaque ponte. Plus petits, mais aussi présent, il y a les L. attenuatus, même si on le rencontre plus volontiers en zone intermédiaire, eux capturent de plus petits alevins. Le site de ponte est particulier, il est choisi dans une zone relativement dégagée, et les oeufs peuvent être déposés sur une coquille d’escargot, nettoyée au préalable. Site plutôt inhabituel, et peu mimétique, les oves y sont très visibles.

Neolamprologus cylindricus et furcifer

Neolamprologus cylindricus et furcifer (queue ronde), à Mvuna.

Tapie dans l’ombre, il y a aussi le Neolamprologus furcifer, splendide poisson à l’œil jaune, prédateur à l’affût, il bondit sur les infortunés alevins passants au ras de sa gueule, nous le voyons souvent dans les surplombs de roches, nageant à l’envers. Neolamprologus cylindricus, sont cousin à barres, pratique également de la sorte. Longeant les rochers à la recherches de proies, lui grappille les invertébrés, accrochés aux parois abruptes. Tout comme Neolamprologus cylindricus.

Altolamprologus fasciatus

Altolamprologus fasciatus.

Un prédateur de jeunes alevins attire souvent l’attention, c’est le Altolamprologus fasciatus, la morphologie de sa tête est semblable a Altolamprologus, mais sont corps est svelte. Lui chasse souvent à l’affût, soit au coin d’une pierre, surveillant des nuages d’alevins, mais surtout ceux qui s’égarent. Il est prêt à fondre sur tout individu isolé. Une autre de ses techniques est de se coller à un grand rocher couvert de concrétions, d’attendre qu’un juvénile montre le bout du museau… Et d’un coup, violent, il se projette en avant et avale son repas… La vie ici, c’est aussi la mort…

Plecodus straeleni

Plecodus straeleni (mangeur d’écailles).

Il faut s’arrêter aussi sur une spécialisation typique du lac, ce sont les mangeurs d’écailles. Il en existe deux genres dans le Tanganyika, Perissodus microlepis, et Plecodus, représenté par quatre espèces, le elaviae, straeleni, paradoxus et le multidentatus.

Neolamprologus tretocephalus

Neolamprologus tretocephalus.

Le Plecodus straeleni est assez simple à reconnaître, il est trapu, et sa livrée est faite de barres plus ou moins marquées. Il est le mangeur d’écailles privilégier des Neolamprologus tretocephalus, et Cyphotilapia auprès desquels il est fréquemment observé. Lorsque sa livrée est foncée, il s’attaque plutôt aux N. toae et Variabilichromis moorii.

Les autres sont plus élancés, l’évolution les a dotés d’une particularité morphologique, en effet, certains sont droitiers et d’autres gauchers. D’après certaines études, les populations de ces mangeurs d’écailles se déplacent, et les gauchers remplacent les droitiers et vice versa. Les poissons attaqués s’adaptant aux prélèvements d’un côtés. Dès que la population change, les attaques se produisent de l’autre côté et ainsi de suite, il y a toujours de quoi faire dans la nature. Il faut noter que d’après certains prélèvements effectués sur ces cichlidés, les écailles se « rangent », telles des colonnes de pièces dans leur estomac.

Une passionnante tribu est aussi représentée dans ce biotope, il s’agit des ectodini.

Asprotilapia leptura

Asprotilapia leptura.

Les Asprotilapia leptura sont là, frôlant et broutant la couche biologique. Il n’est pas rare de tomber sur des couples gardant leurs alevins, qu’ils reprennent bien vite en bouche à la moindre alerte, un spectacle fascinant !

Xenotilapia spiloptera est omniprésent, des groupes de dizaines d’individus peuvent être croisés. En règle générale, ils sont peu pigmentés, mais dans le secteur de Mabilibili, se trouve une variation magnifique à dorsale contrastée de noir, blanc et jaune citron. Les petites perles opalines ressortant sur les écailles, donnent à ce bijou, un attrait particulier.

Ophthalmotilapia ventralis

Ophthalmotilapia ventralis.

Après eux nous pouvons observer les Ophthalmotilapia, nasuta, ventralis, boops, très reconnaissable à leurs longues nageoires pelviennes, terminées par des palettes jaune vif. Ces palettes servent en partie de leurres pour les femelles lors de la ponte. Elles sont étendues justes derrière l’orifice génital du mâle, et durant la pariade, les femelles tentent de les absorber, et se faisant, ingurgitent la semence lâchée par le mâle. Fécondant ainsi les œufs, conservés durant plusieurs semaines dans la cavité buccale de la femelle.

C’est la même chose chez les Cyathopharynx. Les mâles construisent des nids en forme de cratère. Amoncelant du sable plus ou moins grossier, ils façonnent une cuvette, au sommet d’une grande roche. Le sable peut être apporté de plusieurs mètres.

Mâle Aulonocranus sur son cratère

Le travail achevé ressemble à un cratère, et celui-ci doit être parfait, qu’un escargot tente de le traverser, et le mâle le retire, pour le cracher plus loin.

Aulonocranus dewindti n’est pas oublié, lui construit des demis cratères, systématiquement appuyés contre une roche, ses pelviennes sont nettement plus courtes, et se termine par des similis palettes. Ils partagent tous une façon de parader en cercle peu discrète, éloquente. Qu’un autre mâle ou une femelle non gravide passe à proximité, et il est raccompagné, plus ou moins violemment, aux frontières du territoire. Si c’est une femelle réceptive, le grand jeu est sorti.

Xenotilapia sp. sunflower à Mvuna island

Xenotilapia sp. sunflower à Mvuna island.

D’abords toutes nageoires déployées il fait le cercle, puis prenant la direction du nid, le mâle fait « flotter » ses nageoires anale et dorsale, tels des étendards flottant au vent, c’est irrésistible, et la femelle succombe à tant de beauté !

Le tableau serait incomplet, si les Cyprichromis étaient oubliés.

cyprichromis leptosoma, coloratus, sp. jumbo (Mtosi)

Cyprichromis leptosoma, sp. jumbo & coloratus ensemble à Mtosi.

Contrairement à une idée reçue, ceux-ci ne s’éloignent que très peu des barres rocheuses qu’ils affectionnent, et il n’est pas rare d’en observer dans des cavernes. Deux espèces se rencontres ici, Cyprichromis leptosoma, et Cyprichromis pavo, ce dernier se reconnaissant à sa taille nettement supérieure à leptosoma.

A faible profondeur les Paracyprichromis brieni peuvent s’intégrer aux regroupements de Cyprichromis, nettement plus discrets, ils peuvent tout à fait passer inaperçus au milieu de l’activité déployées autour d’eux, par leurs cousins.

Trouvant là un abri contre les prédateurs du large. Ils vivent en grands bancs, pouvant atteindre plusieurs milliers, pour ne pas dizaines de milliers d’individus. Spectacle fascinant s’il en est, les femelles en incubation regroupées et séparées des mâles, les sub-adultes concentrés dans des points stratégiques, contre les monolithes, et cernés de prédateurs, prêts à fondre sur un individu isolé ou blessé. Reconnaissable à sa morphologie singulière (grosse tête, dents acérées), les Lepidiolamprologus lemairii sont toujours présent, pour en avaler un.

Voilà un petit voyage dans un biotope assez mal connu.

Biotope rocheux

Biotope rocheux à Molwe.

L’aquariophile qui aime le Tanganyika, ne l’aime que pour la richesse des comportements qu’on peut y rencontrer, la diversité des formes n’ayant rien à envier aux poissons chatoyant inféodés aux récifs coralliens.

 

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