Neolamprologus caudopunctatus et Neolamprologus leloupi
Systématique et observations sur l’écologie.
Auteur Heinz Büscher traduit par P. Tawil, article tiré de DATZ (45), 1 , 1992 (RFC n° 133, novembre 1993)
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Neolamprologus leloupi (Poll 1948) et Neolamprologus caudopunctatus appartiennent, avec une longueur totale approximative de 6 cm, aux plus petites espèces scientifiquement décrites de ce genre. La première description de N. leloupi se fit sur la base d’un seul exemplaire, récolté en 1947 pendant la mission hydrobiologique belge du lac Tanganyika, non loin du village de Mtoto, environ 10 km au nord de Moba à une profondeur de 2 à 4 m.
Bien que, au cours de cette expédition dans la même région, 4 récoltes eurent lieu dans l’ensemble (décembre 1946, février, mars et mai 1947), il est étonnant qu’un seul exemplaire ait été récolté. cette découverte unique peut peut-être s’expliquer par le fait que la côte sableuse de Moba, qui s’étend sur plusieurs kilomètres, constitue la barrière nord de cette espèce. D’un autre côté, les relevés effectués au sud de Moba (près des sites de Zongwe, Mwerazi, Kapampa), au cours de cette expédition, ne débouchèrent sur aucune capture supplémentaire, bien que, comme l’ont mis en évidence mes recherches personnelles, l’espèce se rencontre fréquemment dans cette partie de la côte. Des recherches que j’ai pu faire les années suivantes (de 1993 à 1998) sur la côte comprise entre Moba et Kalemie révélèrent que Neolamprologus leloupi est également répandu au nord de Moba. Ainsi, cette espèce est très fréquente dans les environs de Kitumba, et j’ai également rapporté de mes collectes un exemplaire conservé en provenance du cap Tembwe. Je ne peux donc exclure que l’aire de répartition se soit étendue depuis l’expédition de Max Poll il y a près de 50 ans. |
Examens morphologiques sur mon propre matériel :
Mes premières découvertes fortuites dans un endroit au sud de la côte du Congo démocratique m’ont permis de constater que deux populations incontestablement différentes y vivent dans le même habitat. Ces populations pouvaient appartenir aux deux espèces décrites en raison de leur patron pigmentaire : Neolamprologus leloupi avec une bande noire (peu visible) et des rangées irrégulières de points dans la caudale, un liseré blanchâtre sur la portion épineuse de la dorsale et noir sur la portion molle ; Neolamprologus caudopunctatus avec des rangées régulières marquées de points dans la caudale des mâles et une dorsale uniformément jaune orangé. À côté de cela, dans les régions explorées situées plus au nord (Zongwe, Mwerazi, Kapampa), on ne trouve qu’une population, à coloration homogène, avec liseré noir soutenu caractéristique de N. leloupi (ici les rayons épineux de la dorsale pâle sont liserés de jaune orangé et les rayons mous de noir).
J’ai de ce point de vue, cherché à déterminer d’une part si des différences morphologiques interspécifiques étaient présentes dans la même localité, d’autre part s’il existait des différences entre les populations du nord et celles du sud chez les deux espèces. Les deux populations examinées de N. leloupi sont séparées par environ 120 Km de côte alors que celles de N. caudopunctatus le sont d’environ 50 Km, soit nettement moins que ceux où ont été collecté en leur temps les exemplaires types, qui comprenaient une centaine de kilomètres de côte. |
La comparaison entre des poissons de même taille appartenant aux deux espèces et provenant de la localité “b” fait apparaître une hauteur du corps relativement moindre chez N. caudopunctatus, qui paraît de fait légèrement plus élancé.
De même, on peut voir des différences dans la hauteur préorbitaire et le diamètre de l’œil, rapportés à la longueur de la tête. Enfin, on note un nombre légèrement supérieur de rayons mous dans la dorsale dans la population sud de N. caudopunctatus. L’échancrure de la caudale mentionnée par Poll chez les deux espèces est sans doute la conséquence de la conservation, car déployée au maximum, cette nageoire est tronquée. Dans l’ensemble, les deux espèces ne peuvent être que difficilement séparées d’après leurs caractères morphoméristiques. Une distinction sûre est toutefois possible sur la base de la coloration et des dessins, qui ne sont visibles que dans des conditions déterminées: Indépendamment de la variabilité du patron de la caudale et de la dorsale, les deux espèces présentent un patron corporel distinctif particulièrement net en cas de forte excitation (par exemple lors de la garde parentale ou après la capture) ainsi que dans leur robe nocturne: de la base antérieure de la dorsale au pédoncule caudal, s’étendent verticalement jusqu’au ventre cinq ou six barres larges, se muant systématiquement en damier clans la partie inférieure chez N. leloupi. Chez N. caudopunctatus au contraire, les trois premières barres sont toujours ininterrompues, seules les postérieures prenant l’aspect d’un damier. |
Répartition géographique:
Neolamprologus leloupi est réparti dans l’ensemble des régions que j’ai explorées sur la côte Congolaises sud-ouest du lac Tanganyika. d’environ 25 kilomètres au sud de Moba (près de la localité de Kabinda) jusqu’à au moins 20 Km au nord de la frontière entre le Congo et la Zambie.La limite de répartition de N. caudopunctatus 20 kilomètres au nord de la baie de Lunangwa.Selon mes observations et celles de Poll ( 1978), l’aire de répartition s’étend vers le sud au-delà de la frontière Congolo-zambienne,au moins, jusqu’au cap Chaïtika.Les deux espèces sont donc sympatriques au Congo sur une longueur de côte de plus 60 Km !Carte réalisée d’après Büscher avec Google earth Carte de répartition congolaise ainsi que localités de capture d’exemplaires types :-1: Neolamprologus leloupi (Mtoto)-2: Neolamprologus caudopunctatus (Cap Kabeyeye – Zambie) |
Structure de l’habitat :
Neolamprologus leloupi et N. caudopunctatus vivent sur les fonds littoraux et sub-littoraux des zones intermédiaires entre les roches et le sable. La roche peut être constituée d’éboulis de toutes tailles et de toutes sortes. Il s’agit souvent de gros rochers arrondis (semblables à nos blocs erratiques), environnés de sable et de gravier fin. La mention de sol meuble dans leur habitat m’a parut exacte, car je ne les ai jamais trouvés dans le véritables biotopes rocheux crevassés, malgré l’abondance de petites cavités; alors que j’ai rencontré en (le nombreux endroits N. leloupi en groupes de centaines d’individus (comme ceux qui ont été décrits pour Neolamprologus brichardi du nord du lac), N. caudopunctatus ne forme manifestement pas de tels rassemblements. Les habitats des deux espèces recèlent une large palette de possibilités de cachettes et de sites de ponte potentiels. J’ai souvent observé (les couples en garde parentale sur des surfaces sableuses relativement exposées (mais toujours sur une zone de transition entre les roches et le sable), qui ne défendaient pas d’excavation visible dans le sol. Un examen plus approfondi indiquait toujours que la construction (le petites excavations était possible, soit que des galets étaient recouverts par du sable, soit que le sable était étançonné par de petits rochers. Indubitablement, les poissons utilisaient toute cavité disponible à proximité du sol. Les rebords sont souvent si bien camouflés avec du sable qu’il ne restait plus qu’une ouverture minimale pour se glisser à l’intérieur. Un tel comporteraient peut au demeurant être observé en aquarium, si l’on dépose sur le sol de petits pots à fleurs retournés dont l’ouverture du fond a été légèrement agrandie et si l’on met à la disposition (les poissons une quantité suffisante de matériaux fins: en l’espace d’un temps très réduit, le pot à fleurs disparaît sous une butte de sable. Du fait de leur préférence très marquée pour les ouvertures étroites, les deux espèces pondent également dans des coquilles vides de gastéropodes en aquarium. On les classe donc de fait parmi les cichlidés conchylicoles. (C’est pourquoi la désignation de “conchylicole” ne doit pas être aussi vague, mais ne devrait comprendre que les espèces qui pondent obligatoirement en coquilles, le plus souvent du genre Neothauma ). En milieu naturel, on constate toutefois que ce comportement est l’exception, car leur habitat ne recèle pas de grandes coquilles. Les coquilles de Neothauma y sont soit pratiquement absentes, soit exceptionnelles, car collectées par les mâles Neolamprologus callipterus pour la constitution de “harems”. Sur plus de 15 localités comportant des dizaines de petits habitats, je n’ai pu observer qu’une seule fois la ponte de N. caudopunctatus dans une coquille de Neothauma. Du fait que dans la zone intermédiaire entre le sable et les rochers, les abris contre les prédateurs de frai sont rares, il va de soi que les deux parents sont nécessaires pour l’élevage. C’est pourquoi les liens du couple dorent êtres intenses. Le comportement nettement monogame de mes N. caudopunctatus en aquarium doit trouver son origine dans les conditions de vie de la niche écologique de cette espèce. |
Répartition en profondeur :
Dans toutes les localités, N. leloupi se rencontre déjà à une profondeur de un ou deux mètres; les populations les plus importantes sont situées dans des zones comprises entre trois et dix mètres. Dans l’ensemble des localités je n’ai trouvé que des individus isolés à des profondeurs plus importantes, allant jusqu’à 35 m. À l’opposé, N. caudopunctatus montre un autre type de répartition verticale. Bien que cette espèce se rencontre déjà en eau peu profonde, les populations les plus importantes se rencontrent en dessous de 10 mètres. Ces poissons vivent même fréquemment entre 25 et 40 mètres.
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Autres espèces présentes dans le même habitat :
Du fait de l’étendue spatiale des habitats, aussi bien en ce qui concerne la longueur de côte que la profondeur, l’environnement direct de ces deux poissons recèle une multitude d’autres poissons, principalement des cichlidés. Les espèces les plus souvent observées (selon la profondeur) sont Neolamprologus sp. aff. brichardi, N. calliurus, N. fasciatus, N. marunguensis, Variabilichromis moori, N. sexfasciatus, N. tretocephalus, Altolamprologus calvus, Neolamprologus callipterus, Julidochromis sp., Telmatochromis sp., Ophthalmotilapia ventralis, Tropheus Moorii, Xenotilapia papilio, X. spilopterus.Certaines localités renferment également N. buescheri et N. leleupi ainsi que Julidochromis dickfeldi. J’ai observé un comportement intéressant dans la répartition de N. caudopunctatus à dorsale orange: les individus subadultes se rencontrent fréquemment en compagnie de jeunes Xenotilapia sp. aff. dont la dorsale est également jaune-orange, avec lesquels ils forment de petits groupes. |
Spectre alimentaire :
La description du milieu naturel permet de s’apercevoir que les habitats fréquentés sont identiques, au moins sur le plan de leurs caractéristiques chimiques, autrement dit que, du point de vue des poissons, les deux espèces présentent les mêmes besoins.
Indépendamment de la période de l’année (septembre-octobre 1989 et 1990, fin de la saison sèche: avril-mai 1991, fin de la saison des pluies), l’alimentation se compose principalement d’ostracodes, de larves de moustiques et d’éphémères, ainsi que de copépodes et d’algues filamenteuses et sphériques. Aussi bien le spectre alimentaire que la présence de particules sableuses dans l’estomac et l’intestin de la plupart des individus des deux espèces confirmèrent mes observations sub-aquatiques selon lesquelles ces poissons picorent l’essentiel de leur nourriture dans le substrat. D’un autre côté les agrégations de N. leloupi dans certaines localités représentent clairement des communautés alimentaires se nourrissant de plancton animal et végétal happé en pleine eau). D’après toutes les observations, les deux espèces réclament la présence (les ressources “cavités de reproduction” et “nourriture” en grandes quantités, quoique d’une façon à peu près identique.Il serait toutefois prématuré d’en déduire l’occupation d’une même niche écologique, car ce concept très vaste comprend l’ensemble (le l’environnement direct et indirect d’un être vivant. Les différences de répartition verticale dans la zone de chevauchement sont manifestement la conséquence d’une concurrence interspécifique. L’importance des secteurs de coexistence des deux espèces est toutefois le signe que les effets de cette concurrence sont (encore) imprécis. |
Tableau des mesures de Neolamprologus caudopunctatus et leloupi.
Valeurs méristiques et morphométriques de Neolamprologus leloupi et Neolamprologus caudopunctatus. Comparaisons entre différentes localités. | ||||
N. leloupi | N. caudopunctatus | |||
Nord (a)n=2n=1Nr. 90/4 | Sud (b)n=4Nr. 91/33 | Nord (c)n=5n=4Nr. 89/990/95 | Sud (b)n=5Nr. 91/34 | |
Mesures corporelles | ||||
Longueur totale (mm) | 65,9 – 66,1 | 50,3 – 60,2 | 48,5 – 55,7* | 51,8 – 58,7 |
Longueur standard (mm) | 55,2 – 55,3 | 42,3 – 49,9 | 40,6 – 46,0 | 43,2 – 48,8 |
Longueur de la tête (mm) | 17,1 – 17,2 | 13,6 – 16,0 | 13,2 – 15,0 | 14,0 – 15,4 |
En % de la L.S. | ||||
Longueur totale | 119,4 – 119,5 | 118,9 – 121,6 | 119,5 – 122,3* | 119,6 – 121,1 |
Hauteur du corps | 30,0 – 30,4 | 32,2 – 32,9 | 28,9 – 31,9 | 28,5 – 31,0 |
Longueur de la tête | 30,9 – 31,2 | 31,8 – 33,1 | 30,9 – 33,6 | 31,6 – 32,6 |
L. du pédoncule caudal | 17,5 – 18,1 | 16,6 – 18,4 | 17,0 – 18,2 | 17,6 – 18,0 |
H. du pédoncule caudal | 11,0 – 11,4 | 11,8 – 12,4 | 11,0 – 12,1 | 11,4 – 12,1 |
L. des nageoires pectorales | 23,5 – 25,9 | 23,6 – 25,5 | 23,5 – 25,4 | 24,2 – 24,6 |
En % de la tête | ||||
Longueur du museau | ||||
Largeur du museau | 30,8* | 29,3 – 32,4 | 32,0 – 34,5* | 31,2 – 32,6 |
Hauteur préorbitaire | 15,1 – 17,5 | 15,7 – 17,4 | 13,3 – 15,5 | 13,5 – 15,3 |
Diamètre de l’oeil | 32,2 – 33,1 | 30,0 – 33,3 | 32,1 – 36,4 | 31,9 – 35,5 |
longueur du sous opercule | 43,6 – 44,4 | 43,6 – 45,8 | 40,0 – 46,2 | 42,9 – 46,8 |
Largeur interorbitaire | 19,9 – 20,3 | 20,7 – 21,9 | 18,0 – 21,8 | 19,1 – 21,4 |
Valeurs méristiques | ||||
Nombre d’écailles | ||||
Ligne latérale gauche | 34 | 33 – 34 | 33 – 35 | 32 – 34 |
Ligne latérale droite | 31 – 35 | 30 – 33 | 31 – 32 | 30 – 32 |
Nombre de rayons | ||||
Dorsale | XVIII9 | XVII – XVIII8 – 9 | XVIII – XIX9 | XVII – XVIII9 – 10 |
Anale | VII5 – 6 | VII – VIII5 – 6 | VII5 – 6 | VII – VIII6 |
Nombre de dents caniniformes | ||||
en haut/en bas | 7-8 / 6-8 | 6/6 | 5-7/5-7 | 6-8/4-6 |
Nombre de vertèbres | ||||
abdominales/caudales | 14-15/17 | 14/16 | 14-15/16-17 | 14-15/16-174 |
total | 31-32 | 30 | 31-32 | 31-32 |
Mensurations et valeurs méristiques d’après Barel et al. (1977). Détermination de la longueur standards, de la formule des nageoires, du nombre des vertèbres, de longueur et de la hauteur du pédoncule caudal sur les radiographies d’après Büscher (1991). Localités : (a) 20 km au nord de Zongwe, (b) 10 km au nord de Livua, (c) 5 km au nord de Lunangwa. (collection de l’auteur). |
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Bibliographie:
– Barel, C.D.N., M.J.P. van Oijen, F. Witte & E.L.M. Witte-Maas (1977) : An introduction to the taxonomy and morphology of the haplochromine Cichlidae from Lake Victoria. Neth. J. Zool.27: 33 3- 389.
– Büscher. H.H. ( 1991) : Neue Schneckencichliden aus demTangtnjikasee. DATZ.
– Aquarien Terrarien 44: 374-382
– Brichard_P. (1989) Cichlids and all the other Fishes of Lake Tanganyika. T.F.H. Publications, Inc.. Neptune City. N.J., USA.
– Poll, M. (1956): Poissons Cichlidae. In : Exploration hydrobiologique du lac Tanganika (1946/47), Résultats scientifiques. 3 (5B) : 1
– 619. Institut Royal des Sciences Naturelles, Bruxelles.-(I978): Contribution à la connaissance du genre Lamprologus : Description de quatre espèces nouvelles, réhabilitation L. mondabu et synopsis remanié des espèces du lac Tanganika. Bull. Cl. Sciences, Acad. Roy. Belg., (5ème série) LXIV : 725-758.
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Remerciements aux: auteur/rédacteur/traducteur Heinz Büscher et Patrick Tawil qui m’ont généreusement autorisés à diffuser cet article. Ainsi qu’à Patrick Tawil, Philippe Burnel, et Alex Saragoza pour leurs documents photographiques.