Neolamprologus pulcher “daffodil”

Neolamprologus pulcher “daffodil”

Neolamprologus pulcher “daffodil” Comportement reproducteur

Éric Genevelle (avril 1999)

 

Neolamprologus pulcher 'daffodil' de Kantalamba.

Localisation de Neolamprologus pulcher "daffodil"

Localité de N. pulcher “daffodil”

     Qui ne le connaît pas ?

C’est ce cichlidé qui ressemble morphologiquement à la princesse du Burundi alias Neolamprologus brichardi  ?

Et bien oui, sauf qu’il est plus joli que ce dernier et ne ferait pas partie de la même espèce. En effet, selon Ad. Konings (1998), la principale clé de distinction des espèces du complexe brichardi se fait à partir des marques operculaires. Ainsi, les variétés géographiques de Neolamprologus brichardi ont toutes deux barres en forme de T couché et Neolamprologus pulcher a deux barres verticales (chevrons), comme c’est le cas chez la variété “daffodil”.

 

Neolamprologus complexe savoryi

Neolamprologus complexe savoryi

C’est sous ce même critère de distinction que Ad Konings estime que le dernièrement décrit Neolamprologus helianthus (Büescher, 1997) est une variété de Neolamprologus splendens car toutes deux ont des barres en V. Ce n’est évidemment pas l’avis de Heinz Büscher qui estime que ce sont deux espèces différentes en raison de légères différences morphologiques (à noter que Philippe Burnel, lors de l’expo d’Anvers, a eut la surprise de voir un couple de N. helianthus en train de se reproduire dans une coquille ???)

Revenons à notre “daffodil”. Je ne vais pas m’étendre sur son patron de coloration, les photos étant faites pour ça. Précisons cependant qu’il n’existe aucune différences de patron entre les individus pour la bonne et simple raison qu’ils ne sont présents que dans une toute petite zone située à env. 6 km vers le nord, de l’embouchure de la Kalambo river (qui marque la frontière entre la Zambie et la Tanzanie), soit à Kantalamba exactement.

Nous pouvons donc à priori mélanger dans nos aquariums tous les poissons ayant le nom de”daffodil” tout en prenant soin de bien vérifier la véracité de ce nom (en effet, beaucoup d‘amateurs ne prennent pas garde aux barres operculaires et croisent en toute bonne fois des N. brichardi avec des N. pulcher”daffodil”.

Village de Kantalamba, sud du lac Tanganyika.

Village de Kantalamba, au sud du lac en Tanzanie.

Le but de cet article… ah oui, vous parler de sa reproduction, ou plutôt de certains de ses aspects surprenants que j’ai pu observer avec des individus sauvages. Je ne vais donc pas m’étendre sur le fait que ce cichlidé se reproduit très facilement, qu’il une tendance prononcée pour l’hybridation avec les autres espèces du complexe, qu’il vit en groupe nombreux dans l’habitat rocheux et intermédiaire, que contrairement aux apparences, ils ne forment pas de harems, mais que les groupes observés en milieu naturel sont en réalité un regroupement de couples en reproduction et d’individus immatures sexuellement.

      Tout cela, vous le savez, et si ce n’était pas le cas, c’est désormais chose faite. Ah oui, point de détail mais que tous le monde a du observer, c’est un pondeur sur substrat caché. Ceci étant dit, passons à mes observations.

 

Neolamprologus pulcher 'daffodil'

Mâle se reproduisant avec la femelle n°2.

Les bases
Bac de 1100 litres avec des amoncellements rocheux, des larges plages de sables, plantes, une toute petite souche de bois.
Population : Paracyprichromis nigripinnis, Tropheus sp., Cyphotilapia sp., Neolamprologus leleupi, Xenotilapia spilopterus, Synodontis sp., Altolamprologus calvus, Enantiopus melanogenys et 3 Neolamprologus pulcher “daffodil”.
Nos trois “daffodils” sont des sauvages relativement jeunes. 1 mâle et 2 femelles (un autre mâle est mort deux jours après son arrivée par une attaque bactérienne)

Observations

Deux mois après leur introduction dans l’aquarium, une femelle est écartée et le couple restant s’isole rapidement à l’extrémité droite du bac (2,50 m de long).
Tous les intrus sont chassés dans un territoire de 30 cm de diamètre. Deux semaines plus tard, un essaim d’alevins apparaît à quelques centimètres du sol. Ils sont très sympathiques et j’espère conserver quelques alevins pour la relève (en cas d’accident pour les parents), mais je décide de laisser faire Dame nature et d’observer.
Les deux premiers jours, aucun poisson ne peut s’approcher à moins de 20 cm des alevins, qui sont alors protégés par les deux parents.

Neolamprologus pulcher Sp Daffodil Kantalambwa 24 (alevin) (EG).jpg (8644 octets)      Neolamprologus pulcher Sp Daffodil Kantalambwa 24 (alevin) (EG).jpg (8644 octets)

      Le troisième jour, bien que les alevins restent toujours groupés, j’ai remarqué que la défense du nid était différente en fonction de l’agresseur potentiel.

Je détaille:
Cyphotilapia frontosa: Bien que 20 fois plus gros que le mâle “daffodil” le Cypho se postait à 10 cm du nuage d’alevins. Le mâle ou la femelle “daffodil” se postait juste au-dessus ou même derrière ses rejetons (jamais le “daffodil” ne se place entre les alevins et l’agresseur) et fixait le C. frontosa. Situation immobile de l’agresseur et du défenseur pendant de longues minutes. Pas un seul alevin n’a été becté ! (en ma présence)
Dès que le frontosa avançait d’un centimètre, le “daffodil” faisait un mouvement de dissuasion.

Neolamprologus leleupi : Attention, danger. Dès qu’un leleupi s’approche en longeant les pierres à moins de 50 cm, un des deux”daffodil” se jette dessus et l’autre partenaire du couple se place juste au-dessus des alevins en second rideau défensif. Les alevins se jettent alors sur le sol.

Altolamprologus calvus : En raison du jeune âge de ces calvus, ils ne représentent pas une grande menace pour les alevins. Une à deux fois le mâle à tenté sa chance en avançant en crabe pour présenter ses flancs, mais à chaque fois un des deux “daffodil” à repoussé l’agresseur avec douceur quand ce dernier était à moins de 10 cm des alevins.

Tropheus sp. “Kaiser Ikola” et T. sp “Red Kalambwe” : Dès le début ils n’ont représentés aucune menace pour le nuage des alevins et les parents semblaient en avoir conscience. En effet, il arrive souvent qu’un Tropheus traverse littéralement le nuage d’alevin sans que les parents ne réagissent et sans que les alevins ne se plaquent au sol. Pourtant, il faut savoir qu’un alevin est aussi gros qu’un artémia et que le Tropheus (même si ce n’est pas conseillé pour sa santé) se jette sur ce type de nourriture.

Enantiopus melanogenys : Ils sont chassés du territoire avec virulence dès lors qu’ils approchent du nid en venant du haut. L’agression est cependant moins forte que pour les N. leleupi.

Paracyprichromis nigripinnis : Ils peuvent s’approcher du banc sans soucis, mais sans le traverser.

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     Dès la tombée de la nuit, les parents semblent cacher les alevins dans des coquilles situées à proximité car ils relâchent toute garde et tous les poissons de l’aquarium peuvent alors patrouiller à l’endroit même où se trouvaient logiquement les alevins, et même chercher dans le sable des restes d’aliments. Un ami m’a raconté avoir changé de place les coquilles un soir et avoir retrouvé le lendemain ces dernières à leur place d’origine avec les alevins à l’intérieur.

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Après une semaine, j’ai décidé pour d’autres raisons à retirer du bac les Cyphotilapia frontosa. L’attitude protectrice des parents s’est alors considérablement relâchée et le mâle “daffodil” en a profité pour prendre ses distances. Le nuage d’alevin s’est alors déplacé vers la gauche et s’est installé sur le sable, à plus de 20 cm des rochers et sur une surface d’environ 200 cm2 (pour environ 30 alevins) et sur une hauteur de 20 cm. La mère continue de surveiller les alevins, mais à une distance respectable de plus de 40 cm de distance (en arrière ou au dessus du banc). Parfois, elle s’éloigne à plus d’un mètre sans pour autant que les alevins ne se tapissent au fond. Tous les autres poissons passent alors à quelques cm des nourrissons sans que cela ne pose de problème. Par contre, si un N. leleupi passe dans le dos des parents, il est rapidement rattrapé.

Quand je vous disais que le mâle avait pris ses distances, c’est en fait qu’il était allé voir l’autre femelle qui avait établie son territoire à 1,50 mètre de celui du couple établi.

En deux jours, les œufs étaient pondus sous une petite souche de bois. Nous avons donc à faire à une espèce polygame. Le mâle, tout en défendant ce nouveau nid, allait environ toutes les 5 minutes rejoindre sa première épouse pour vérifier que tout allait bien et qu’elle pouvait se charger sans trop de soucis de la défense de la première ponte.

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      Parfois, les deux femelles et le mâle se regroupent ensemble, mais cela se fait au centre du bac, soit à équidistance des deux nids. Mais jamais la femelle 1 va voir ce qui se passe dans le nid de la femelle 2 et vis versa.

Placés sous la souche, les œufs issus de la deuxième ponte sont restés visibles 3 jours à l’issue desquels, les alevins étant sortis de l’enveloppe embryonnaire, les parents les ont déplacés quelques centimètres plus loin, sous une pierre plate.

Cap Kantalamba

Cap au sud de Kambwiba, Kantalamba se trouvant derrière.

Discussion

    Cette observation a eut lieu en aquarium et ne saurait prévaloir sur une observation en milieu naturel. Reste que vu la taille de l’aquarium, cela se rapproche (pour ce type de poisson) à ce qui pourrait se passer dans le lac.
Le mâle a eut un comportement reproductif polygame. Est-ce du à l’absence d’autre mâle disponible dans l’aquarium ?
Il est évident qu’un autre mâle libre de toute compagne se serait occupé de la femelle vacante, mais cela ne change en rien les intentions du mâle présent ou de sa prédisposition au polygénisme.

 

 

      Un étude de ce phénomène est difficile à réaliser dans le milieu naturel en raison de la promiscuité des couples reproducteurs, et seule une équipe de Japonais pourrait y consacrer le temps nécessaire (ils en ont l’habitude, la méthodologie et l’expérience).

Neolamprologus pulcher Sp Daffodil Kantalambwa 20 (EG).jpg (27024 octets)   Neolamprologus pulcher Sp Daffodil Kantalambwa 20 (EG).jpg (27024 octets)   Neolamprologus pulcher Sp Daffodil Kantalambwa 20 (EG).jpg (27024 octets)
Ponte de la deuxième femelle sous la souche (on voit les oeufs sur la photo de droite)

      On note aussi que l’attitude des alevins et des parents diffère considérablement en fonction de la nature du prédateur. Un Tropheus peut traverser le banc des alevins sans être inquiété et un Neolamprologus est chassé dès qu’il approche à moins de 50 cm. Les Paracyprichromis sont ignorés et les Cyphotilapia observés avec méfiance.
On remarque donc que la peur du prédateur n’est pas en relation étroite avec sa taille, mais plutôt en rapport avec son régime alimentaire. On remarque ensuite que l’attitude des alevins vis à vis de ces menaces évolue de jour en jour et se calque sur celle des parents.

Neolamprologus pulcher "daffodil"

Neolamprologus pulcher “daffodil”

      Comme les parents sont des sauvages, on peut supposer à juste titre que les parents de ces sauvages leurs ont appris les mêmes réflexes de défense (ignorer, faire face ou se tapir sur le fond). D’autres observations faites dans d’autres aquariums, où les sujets d’observations ne sont pas des sauvages, semblent montrer que le taux de survie des alevins est plus faible. C’est à mon avis la preuve que le comportement défensif sélectif est transmis de générations en générations et que cela n’est pas inscrit dans les gènes de l’espèce. Cela reste cependant à prouver !

      D’autres comportements passionnants ont été observés (principalement en aquarium) sur ces cichlidés quant-à leur mode de reproduction. On a pu ainsi observer que certains couples semblaient engager des nourrisses pour s’occuper de la garde des jeunes. Ces nourrisses sont, soit des femelles inactives, soit des juvéniles proches de la maturité issus des premières pontes. En cas de mauvaise garde de cette dernière (pertes d’alevins par exemple), la nourrisse est chassée du nid avec virulence (ce qui arrive aussi si un des deux parents est reconnu responsable d’un accident). Dans le milieu confiné de l’aquarium, cela se traduit généralement par l’exclusion définitive de l’irresponsable et par sa mort.

 

     Quoi qu’il en soit, le comportement reproducteur de ce poisson n’a pas fini de nous livrer toutes ces facettes. Et ce que l’on dit de ce poisson colonisateur à outrance (et parfois délaissé pour ces raisons) n’est parfois pas justifié. Il est en réalité un poisson parfaitement adapté à son habitat et est à ce jour à la pointe du mode de reproduction sur substrat caché.

       Reste que Dame nature veille à sa bio-diversité et à l’équilibre des espèces au sein d’un même biotope. Un couple de Neolamprologus pulcher”daffodil” ne donnera au cours de sa vie que deux alevins qui arriveront à maturité sexuelle et qui arriveront à se reproduire.
Sans quoi l’équilibre serait rompu et il y aurait belle lurette que l’on pourrait traverser à pied le Lac Tanganyika sans se mouiller.

 

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