Le Tanganyika, ses eaux bleues…

Le Tanganyika, ses eaux bleues…

Cap Kabogo

Le Tanganyika, ses eaux bleues ; ses perles … grises ?!

ou

“… faisons un rêve …”


D’un surplomb monolithique, vient de passer, furtif, un diablotin à queue fourchue, c’est un furcifer, subrepticement il s’approche d’une nuée d’alevins, il est gris … Regardons-le de plus près … Car c’est les yeux dans les yeux – le jaune de ses yeux – que la magie va s’opérer. Tout comme l’œil du crapaud qui donne, par cette touche parfaite, la beauté à cet être “ultraterrestre“.

Le lac, ses poissons, ne se regardent pas avec les yeux,

mais ils se sentent, ils s’écoutent, se voient avec l’ouïe ; “écoutez voir” ce lac est une prunelle, pupille de félin, “l’oeil de lynx” de la terre, qui sait ?

Vu du ciel c’est une faille, une faille bleue, profonde, insondable … Un coup du marteau de Thor, une pièce sur l’enclume d’Héphaïstos ? …

N’y vivent aucun monstre mythique mais quelques Crocodilus niloticus et Mecistops cataphractus, pas plus que de bestiaire archaïque, … Que des perles, des perles de terres, des perles d’opales, des cristaux de soufre et des lapis-lazuli, des aigues-marines, de l’anthracite et des alevins fuligineux.

Au long de ses plages, errant, des bancs de Xenotilapia filtrent le sable et ingèrent des particules.

Tout un univers de vies, d’êtres uniques, de formes paradoxales, une véritable singularité du monde.

Les poissons qui attirent là-bas, et fascinent aussi ce sont des papillons et des fleurs d’hélianthes, des imitateurs et des “moustachus“, des paludéens et des “lions“, des bossus, des paons, des aspirateurs et des “écrits“, des raisonnables et des sauvages ; ainsi les virent les personnes qui eurent à les décrire, toute une imagerie, où l’imagination était de règle (voir l’étymologie des noms).

Les caractères particuliers de chacun étant une vision onirique de l’être.

La transparence de cette eau, cristalline, sa pureté ; imaginons simplement la plus translucide des résurgences ; en fait un lieu d’observation in situ incomparable. Toute personne ayant eu la possibilité d’y assouvir sa passion, en revient changée, pour ne pas dire transformée/métamorphosée.

Imaginez, un espace aquatique qui irait de Lille à Montélimar, la vie serait tout à fait différente ici, en France, il y a fort à parier que toute la vie de la population tournerait autour de cette masse d’eau, autour de ce qui y vit. L’apport principal en protéines animales serait le poisson bien sûr.

Un autre mode de vie, une autre civilisation ; alors les hommes, les femmes et les enfants qui y vivent, qui en vivent, qui sont ils ?

Des ethnies, des populations, des peuples de pêcheurs, des villages accrochés aux rives, des enfants sur les rochers, des poissons qui sèchent sur le sable, l’eau, l’eau, l’eau !… Et c’est la vie qui pétille !

Une mer, qui a ses légendes ………………….

…”À l’endroit où est le lac, se trouvait il y a longtemps, une immense plaine habitée par beaucoup de peuples, qui possédaient de nombreux troupeaux.

Dans cette plaine il y avait une grande ville, pleine de grandes maisons avec de hauts murs d’enceinte où le bétail passait la nuit. D’une de ces enceintes jaillissait une source limpide qui alimentait un joli petit cours d’eau, le seul de la contrée.

Dans ses eaux vivaient d’excellents poissons qui fournissaient au propriétaire du logis, une nourriture abondante ; l’existence de cette manne ne devait être connue que par les membres de la famille sous peine de grands malheurs …

Mais un jour …

La femme qui aimait un homme de la ville, lui envoya des poissons de cette source !!!

Lui, les trouva si bons qu’il voulut savoir d’où pouvait provenir une chair aussi excellente … Elle résista pour ne pas révéler le secret, mais …

Mais un jour que son mari s’était absenté … Elle invita son amant à venir partager un repas … Ce qui devait arrivé arriva ; à la fin du repas il voulût voir cette “source de vie” …

Elle ne résista pas et lui fit voir la résurgence ; là, il vit des poissons argentés, étincelants, à la suite du ravissement, la terre craqua, le sol s’effondra et la plaine s’enfonça, s’enfonça tellement que les lignes les plus longues ne pouvaient pas en atteindre le fond …

La source déborda et emplit la grande fente, et tout fût submergé par les eaux …

Ainsi le lac exista …”

D’après : Le Tour du monde – Nouveau journal des voyages – A travers le continent mystérieux – M. Stanley – 1878 / 2ème semestre.

Les poissons étincelants du lac sont des “sardines” bien sûr, par milliers, par centaines de milliers, Limnothrissa et Stolothrissa pêchées par tonnes, elles sont l’apport principal en protéines d’un grand nombre d’âmes, loin autour du lac. La majorité des fonds posant des problèmes pour une exploitation industrielle à grande échelle, ces poissons sont et seront donc préservés et il y a peu de chance de les voir disparaître. La pollution est un risque beaucoup plus grand pour toutes les espèces vivants dans et autour du bassin. Sans oublier la déforestation qui détruit insidieusement les rives proches du lac, ne retenant plus les sols, lors des pluies la terre est arrachée par les écoulements d’eau, et l’apport massif, par le ravinement, d’alluvions au lac provoque doucement un étouffement, accélérant la sédimentation, et provoquant la disparition de certains biotopes, donc de certaines espèces !

Étant la base de chaînes alimentaires, et sans faire d’extrapolation alarmiste, cela pourrait provoquer, soit une famine, voir des exodes massifs de populations, pour cause de disparition de leur apport alimentaire principal qu’est le poisson, le lac est un Triton, une corne d’abondance à préserver.

Dans les roches, au fond d’une faille nettoyée, un damier jaune et noir veille, femelle, le mâle patrouille alentours gardiens des petits, des jeunes gardiens de leurs petits frères et soeurs. Ils vont, grappillant parmi les algues de petites larves de crustacés, d’insectes, des morceaux d’éponges …

Ils grandiront bien, et auront plein de petits marlieri (ceux qui ne seront pas dévorés).

Dans ces microcosmes vivent en harmonie, de drôles de bêtes à coquilles, des formes semblables aux volutes marines, aux tests solides et dessinés. Les spires anguleuses de Neothauma sur les sédiments, glissant sur sole pédieuse, la radula au clair, tous ces gastéropodes laissent la pierre à nue après leur passage et ce sont des “avenues”, entrelacs dessinés sur fond verdâtre, mais tout cela aura repoussé rapidement…

Ils filtrent l’eau et en extraient les particules, ces bivalves, formes connues de nos anodontes et mulettes au pied s’ancrant dans le substrat, filtres puissants et organiques …

Du corail !!!??? Mais non bien sûr juste des colonies de Victorella pavida et de Plumatella repens fixées à la rocaille, pas de branches calciques …

Serions nous en mer ???

Les premiers zoologistes et explorateurs le crurent, voyant et découvrant des crabes, des éponges, méduses, Tetraodon, il ne manque plus qu’un goût salé (?). Jamais il n’y a eu de contact avec une mer, mais cela viendra, dans 1 500 000 à 2 000 000 d’années, mais ce ne sera pas notre histoire. Nous, nous n’en sommes que les prémices, la préhistoire de cette ère … Avenir ?

D’entre les blocs, vient de filer une ligne anguilliformes, elle cherche des œufs, des alevins juste éclos et qui frétillent, vespérale prédateur, c’est un goinfre qui aspirent et ingurgite en grandes quantités les vies à peine résolues, avant leur premières bouchées elles seront digérées … C’est Mastacembelus ellipsifer ce “Grangousier” du lac, c’est un ogre !!! Et tous ces petits là n’étaient pas sages certainement.

Sa “cousine” Mastacembelus moori se nourrira des parents, qu’un Tropheus passe à portée et c’est une bouchée de choix, engloutie, satisfaction du ventre, panse rebondie … Qui sait si au hasard de rencontre l’une ne dévorera pas l’autre !?!

Ce lieu magique, à l’image d’autres lieux magiques, des lacs ou des fleuves, est un substrat à nos rêves de quiétude, un compost nourrissant nos allégories, l’alambic distillant la diversité de la vie, la variété des comportements … Ici c’est un couple de Boulengerochromis qui déplace son frai d’un nid à l’autre, à jeun, là des Eretmodus se partage leurs larves, et encore ces multifasciatus intégrant leur spirales demeures, petits éclairs farouches …

Le lac Tanganyika, vu d’ici n’est pas une image d’Épinal, c’est une invitation à des “bathyfolages“* …

Ainsi ce voyage virtuel se conclut. Quand la réalité rejoindra ce songe, certains d’entre nous seront les plus heureux des humains, tout comme ceux qui nous auront précédés, que ce soit dans les profondeurs du lac Malawi, ou les rives du Victoria, dans la moiteur du bassin de l’Amazone, ou dans des cratères emplis d’eau en Amérique centrale, parmi les “primitifs” lémuriens, ou bien un point d’eau dans le désert*.

Le lac est, et sera toujours une part de coeur, un axe palpitant de vies, … une émotions légère comme un soleil radieux** …, … car nous sommes tous de cette étoffe dont les rêves sont faits …*** !

Souhaitons-lui d’être et de rester ce lieu singulier de l’évolution, cette arche de Noé aquatique à l’échelle d’un continent, souhaitons lui de rester…

Cette “île”, ce havre, cette Destination …!

* En hommage à Théodore Monod.
**À Jacques Higelin.
*** À Carlo Goldoni (l’Amour des trois Oranges).
Remerciement tout particulier à Eric Genevelle qui m’a fourni des écrits anciens sur le lac et ses légendes (et autres voyages).

 

Paru dans la RFC n° 231 septembre 2003.

 

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