La diversité taxinomique cichlidés du Tanganyika
La diversité taxinomique de la faune des poissons cichlidés de l’ancien lac
Tanganyika, Afrique de l’Est.
Cet article est une traduction libre d’un document paru en juin 2019 (Journal of Great Lakes Research) en anglais. Il est une synthèse des travaux entrepris ces dernières décennies autour du lac, par des expéditions scientifiques suisses, l’université de Bâle (Basel), étant l’épicentre de ces travaux sur la diversité taxinomique.
Une équipe nombreuse et dynamique que j’ai eu l’occasion de rencontrer, et j’ai le plaisir et la chance d’en connaitre certains membres personnellement, fait un travail titanesque, et pas uniquement de descriptions, sur la biologie, l’éthologie, la chimie, la génétique… etc.
Beaucoup de travail les attend encore, afin de répertorier un tas d’espèces, non décrites, et/ou à découvrir.
Également l’aide et les apports faits par des amateurs éclairés (aquariophiles, plongeurs), permet d’espérer de belles avancées dans les années à venir.Notons pour exemple que les petits « Lepidiolamprologus » rejoignent les Neolamprologus…etc.
https://doi.org/10.1016/j.jglr.2019.05.009
0380-1330/© 2019 Les Auteurs.
Publié par Elsevier B.V. au nom de l’Association internationale pour la recherche sur les Grands Lacs.
Ceci est un article en libre accès sous la licence CC BY-NC-ND
(https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/).
Traduction Benoît Jonas – Relecture: Adrian Indermaur, Yves Fermon
D’après Fabrizia Ronco ⁎, Heinz H. Büscher, Adrian Indermaur, Walter Salzburger
Zoological Institute, University of Basel, Vesalgasse 1, 4051 Basel, Switzerland
Résumé:
Le lac Tanganyika en Afrique de l’Est abrite l’assemblage écologique et morphologique le plus diversifié de cichlidés du monde, et le troisième plus riche en espèces après les lacs Malawi et Victoria. Malgré un intérêt scientifique stable pour les groupes d’espèces de cichlidés des Grands Lacs d’Afrique de l’Est, par exemple dans le contexte de la radiation adaptative et de la diversification explosive, leur taxinomie et leur systématique ne sont que partiellement explorées; et de nombreuses espèces de cichlidés attendent toujours une description officielle.
Ici, nous fournissons un inventaire actuel des cichlidés du lac Tanganyika, fournissant une liste complète de toutes les 208 espèces valides, et discutons du statut taxinomique de plus de 50 taxa non décrits sur la base de la littérature disponible ainsi que de nos propres observations et collections autour du lac. Cela nous amène à conclure qu’il y a au moins 241 espèces de cichlidés présentes dans le lac Tanganyika, toutes sauf deux sont endémiques au bassin. Nous résumons enfin certains des principaux défis taxinomiques concernant les cichlidés du lac Tanganyika. L’inventaire taxinomique des cichlidés du lac présenté ici facilitera les recherches futures sur la taxinomie et la systématique ainsi que sur l’écologie et l’évolution des groupes d’espèces, ainsi que leur conservation.
Contenu:
Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Taxinomie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Descriptif des espèces de cichlidés du lac Tanganyika. . . . . . .
«Espèces muséales». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
«Espèces douteuses». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Espèces de cichlidés non décrites. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Défis taxinomiques du lac Tanganyika. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Cas appelant des révisions. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Conclusions. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Introduction:
Les anciens lacs, définis ici comme des lacs qui ont existé en continu pendant une grande partie de la période quaternaire ou plus, sont bien connus comme des points chauds de la biodiversité.
Ces plans d’eau douce persistants sont généralement très profonds et plutôt isolés, et abritent généralement des communautés biologiques extrêmement riches en espèces présentant des niveaux d’endémisme exceptionnels (Brooks, 1950; Martens, 1997).
L’extraordinaire richesse spécifique de ces lacs est souvent le produit de radiations adaptatives intra-lacustres, au cours desquelles un ancêtre commun se diversifie rapidement dans de nouvelles espèces phénotypiquement distinctes qui occupent les niches écologiques disponibles (Schluter, 2000; Salzburger et al., 2014).
Dans les faits, certains des cas les plus impressionnants de radiations adaptatives sont connus dans ces lacs, comme en témoignent les groupes d’espèces de cichlidés dans les Grands Lacs d’Afrique de l’Est (Fryer et Iles, 1972; Seehausen, 2015; Salzburger, 2018) ou les amphipodes dans le lac Baïkal (Macdonaldet al., 2005). En plus d’être des points chauds de la diversité des organismes, les anciens lacs peuvent également servir de réservoirs d’espèces au fil du temps (Salzburger et al.,2002; Schelly et Stiassny, 2004; Wilson et al., 2004).
L’intérêt scientifique pour les lacs anciens et leurs faunes est multiple (par ex. Albrecht et Wilke, 2008; Larson et Schaetzl, 2001; Salzburger et al., 2014; Timoshkin et al., 2016; von Rintelen et al., 2014); pourtant, les différents les lacs anciens ont reçu différents niveaux d’attention scientifique.
Le lac Baïkal et les Grands Lacs Laurentides sont considérés comme les mieux étudiés lacs du monde, les Grands Lacs d’Afrique de l’Est sont sous-étudiés dans divers aspects, par exemple en ce qui concerne leurs faunes et surtout lorsqu’il s’agit de taxa autres que les cichlidés (Salzburger et al., 2014). Mais même pour les groupes d’espèces de cichlidés des Grands Lacs d’Afrique de l’Est, qui ont été au centre de la recherche taxinomique et de spéciation depuis plus d’un siècle, la structure taxinomique de base est souvent mal étudiée.
Dans le lac Malawi, par exemple, moins de la moitié des 800 à 1 000 espèces sont nominalement décrites (Snoeks, 2000, 2004). De même, dans le lac Victoria, seulement environ 25% du nombre d’espèces endémiques sont décrites (Snoeks, 2000).
La situation est quelque peu différente pour le lac Tanganyika, pour lequel un dossier taxinomique beaucoup plus complet pour les cichlidés est disponible (Snoeks et al., 1994). C’est (du moins dans une certaine mesure) parce que les espèces de cichlidés de ce lac montrent des différences plus importantes les unes par rapport aux autres dans leur classification (Snoeks, 2000), qui peut à son tour être attribuée à l’âge relativement plus élevé des groupes d’espèces du lac par rapport à ceux de lacs Victoria (environ 100 à 150 ka; Verheyen et al., 2003) et Malawi (environ 700–800 ka; Malinsky et al., 2018; Meyer et al., 2017) et à cause de la nature polyphylétique de l’assemblage de cichlidés du Tanganyika (Salzburger et al., 2002, 2005). En outre, il y a eu des périodes distinctes des activités accrues de collecte et de classification en ce qui concerne la Faune des cichlidés du Tanganyika (voir ci-dessous).
Le lac Tanganyika est le plus ancien (~ 9–12 Ma) des Lacs d’Afrique de l’Est et représente (par le volume d’eau) le plus grand volume d’eau douce en Afrique (32 600 km2 avec une profondeur maximale de 1470 m) (Cohen et al., 1993; Salzburger et al., 2014).
L’ichtyofaune du lac Tanganyika très diversifiée, est composée de 22 familles de poissons différentes (Koblmüller et al., 2006; Fermon et al., 2017), y compris ce qui est sans doute l’assemblage de cichlidés phénotypiquement le plus diversifié au monde (Fryer et Iles, 1972; Salzburger et al., 2014).
En dehors des cichlidés, le lac Le Tanganyika est unique parmi les Grands Lacs d’Afrique de l’Est il a la proportion de loin la plus élevée d’endémismes et de morphologies diversifiés dans des groupes d’organismes autres que les cichlidés (Salzburger et al., 2014).
Cependant, ce sont les cichlidés du Tanganyika, qui figurent parmi les systèmes les plus remarquables en recherche de modèles sur l’évolution et spéciation (par exemple Irisarri et al., 2018; Muschick et al., 2012; Salzburger, 2018; Theis et al., 2017; Winkelmann et al., 2014), en biologie comportementale (par ex. Jungwirth et al., 2015; Theis et al., 2012; Young et al., 2019), et le étude des mécanismes moléculaires de l’évolution des caractères (par exemple Böhne et al., 2016; Santos et al., 2014).
Malgré l’intérêt général pour ces cichlidés, la plupart des études antérieures se sont concentrées sur une espèce, sur un sous-groupe d’espèces (par exemple un genre ou une tribu), ou sur un sous-ensemble des taxa présents dans une zone particulière du lac, en tant que représentant de radiations des cichlidés du Tanganyika. En conséquence, certaines espèces et/ou des régions géographiques font l’objet d’une enquête approfondie, tandis que d’autres restent sous-étudiées.
Dans l’ensemble, la littérature scientifique est vague lorsqu’elle en vient au nombre réel d’espèces de cichlidés trouvés dans le lac Tanganyika, et plus encore pour les autres Grands Lacs africains. Les bases de données – telles que FishBase (Froese et Pauly, 2019) ou le Catalogue de Les poissons (Fricke et al., 2019) – sont d’une aide modérée dans ce contexte car ils sont limitées à contenir des informations sur les espèces et leur niveau d’exhaustivité dépend de leur conservation.
Les espèces et variétés, non décrites, existantes ont été principalement discutées dans de nombreuses monographies (Konings, 2015) et/ou des revues d’amateurs. Nous fournissons ici un aperçu concis des cichlidés du lac Tanganyika et énumèrent à ce jour les espèces ainsi que les variétés locales, en tenant compte de la littérature disponible y compris toutes les premières descriptions des espèces de cichlidés du lac, ainsi comme observations personnelles pendant de nombreuses années de collections sur le terrain (1980-2018) couvrant la majorité du littoral du lac Tanganyika (voir Fig.1).
Notez que nous n’avons considéré que les espèces que nous avons observées, et/ou qui auraient été signalés dans le lac lui-même (c.-à-d. lacustre), alors que les espèces purement fluviales ne sont pas discutées. Nous ne visons pas à remettre en cause ou à réviser le statut taxinomique des espèces de cichlidés décrites du lac Tanganyika. Au lieu de cela, nous (i) fournissons un inventaire à jour de toutes les espèces de cichlidés du lac Tanganyika considérées valable à la lumière du Code international Nomenclature zoologique; (ii) déclarer les taxa candidats pour de futures descriptions nouvelles espèces basées sur des observations et opinions personnelles; et (iii) identifier les principaux domaines d’incertitude taxinomique en ce qui concerne les groupes d’espèces de cichlidés du lac Tanganyika. L’inventaire des espèces de cichlidés du Tanganyika, compilées au meilleur de nos connaissances, serviront comme ressource précieuse pour la communauté scientifique intéressée par les cichlidés du lac.
Fig. 1. Carte du lac Tanganyika avec les localités indiquées visitées pour les activités de collecte et de plongée. Les cercles orange représentent les sites visités avant 1998 par un seul auteur (H. H. Büscher), les cercles rouges indiquent les emplacements échantillonnés entre 2007 et 2018 par tous les auteurs. Plus sombre les zones du lac illustrent les trois sous-bassins du lac Tanganyika.(Pour l’interprétation des références à la couleur dans cette légende des figures, le lecteur est renvoyé à la version web de cet article.) |
Taxinomie des cichlidés
Avant de passer en revue la taxinomie actuelle de la faune des cichlidés du lac Tanganyika, nous discutons brièvement certains des problèmes généraux associés avec la délimitation des espèces, dans lesquelles, pour diverses raisons, les concepts classiques des espèces ne sont souvent pas efficaces ( Salzburger, 2018).
Un premier défi émerge par la richesse en groupes d’espèces de cichlidés , car il est souvent difficile pour les taxinomistes de garder une trace de cette diversité et d’identifier sans ambiguïté les caractères sur la base desquels les espèces peuvent être distinguées (Kornfield et Smith, 2000; Snoeks, 2000).
Les différentes espèces de cichlidés de l’Est des Grands Lacs africains sont très étroitement liés, en raison de leur origine via une radiation adaptative rapide, ce qui ajoute un autre niveau de complexité au travail taxinomique (voir par exemple Shaffer et Thomson, 2007; Van Steenberge et al., 2018).
De plus, puisque les radiations adaptatives des cichlidés sont toujours en cours, les frontières entre les populations de la même espèce et deux espèces distinctes sont souvent transitoires (voir par ex. Theis et al., 2014; Pauquet et al., 2018), ce qui rend difficile ligne entre les alternatives selon lesquelles deux taxa sœurs sont deux espèces, plutôt qu’une seul.
La délimitation des espèces est encore compliquée par le passé introgressif des événements d’hybridations et le flux de gènes en cours entre les espèces, qui semblent assez communs chez ces cichlidés (Anseeuw et al., 2012; Gante et al., 2016; Meier et al., 2017; Meyer et al., 2017; Irisarri et al., 2018).
Enfin, différentes approches de la classification des cichlidés ont été adoptées au fil du temps, parmi les taxinomistes, et aussi parmi les radiations. Ce qui est considéré comme une espèce diffère donc parmi les espèces des groupes de cichlidés des lacs Victoria, Malawi et Tanganyika. Par exemple, alors que dans les lacs Victoria et Malawi, une différence dans la la coloration peut être le seul caractère diagnostic distinguant deux espèces, différents «morphes de couleur» sont généralement combinés dans la même dans le lac Tanganyika.
Cette situation pourrait refléter partiellement des différences dans la contribution des processus évolutifs sous-jacents parmi les radiations adaptatives des cichlidés dans les Grands Lacs d’Afrique de l’Est (Van Steenberge et al., 2018).
Cependant, également dans le lac Tanganyika, différents critères ont été utilisés pour la séparation des espèces de cichlidés, et certaines espèces valides ne sont séparées que par des différences mineures. Par exemple, Neolamprologus longior (Staeck, 1980) diffère de son congénère N. leleupi (Poll, 1956) par de légères différences dans les proportions corporelles et coloration uniquement. Notez que N. longior, parmi de nombreuses autres espèces, a été initialement décrit comme une sous-espèce.
Cependant, Poll (1986) a réfuté ce concept pour les cichlidés du lac Tanganyika et élevé tous précédemment sous-espèces existantes au niveau de l’espèce. La délimitation des espèces en général, et des cichlidés en particulier, n’est pas tâche facile et devrait incorporer la suite de méthodes disponible dans une approche (voir Van Steenberge et al., 2015, 2018).
De toute évidence, un traitement uniforme de la séparation des espèces serait souhaitable; même si, à la fin, chaque cas doit être étudié en profondeur et évalué individuellement. Une réévaluation des espèces de cichlidés du Tanganyika et/ou la révision du statut taxinomique de certaines espèces dépasse le cadre de ce travail.
Au lieu de cela, nous visons à fournir un aperçu de la situation taxinomique actuelle état de la faune cichlidéenne du lac Tanganyika.
Dans ce qui suit, nous subdivisons la diversité taxinomique des cichlidés du lac en deux catégories d’espèces, «décrites» et «non décrites», selon lesquelles l’ancienne catégorie comprend ce que nous classons comme «espèces douteuses» et «espèces de musée». Cette subdivision tient compte de la situation que certains cichlidés qui ont été étudiés beaucoup plus en détail que d’autres, beaucoup d’entre eux attendant toujours une description formelle, d’autres encore n’ont pas été observés depuis leur première description.
Espèces de cichlidés du Tanganyika décrites
Il a fallu un peu plus de 30 ans après que Richard F. Burton (1821-1890) et John H. Speke (1827-1864) -à la recherche de la source du Nil- aient découvert le lac Tanganyika en 1858 ( Burton, 1860 ) jusqu’au les premiers cichlidés lacustres du lac Tanganyika qui ont été décrits ( Günther, 1894 ). Parmi eux se trouvait Astatotilapia burtoni ( Günther, 1894 ), une espèce d’haplochromine habitant la zone littorale végétalisée du lac ainsi que les rivières et marécages adjacents. Cette espèce répandue est devenue l’un des cichlidés les mieux étudiés et une espèce modèle commune pour les études comportementales, de développements et moléculaires (par exemple Böhne et al., 2016 ; Santos et al., 2014 ; Theis et al., 2012 ;Weitekamp et Hofmann, 2017 ).
Après les premières descriptions d’espèces par Albert KLG Günther (1830-1914) en 1894, le nombre d’espèces officiellement décrites a augmenté rapidement vers 1900 en raison du travail taxinomique complet de George A. Boulenger (1858-1937) basé sur les collections des expéditions au lac Le Tanganyika s’est déroulé entre 1894 et 1905 (voir fig. 2 et tableau 1 ). Une deuxième augmentation importante des descriptions d’espèces s’est produite entre les années 1940 et les années 1980 grâce aux travaux approfondis de Max Poll (1908–1991) sur les collections de l’expédition belge au lac entre 1946 et 1947 (voir Fig.2 et Tableau 1). C’était aussi Poll ( Poll, 1986) qui regroupait les – à l’époque – 173 espèces de cichlidés du Tanganyika décrites en 12 tribus basées sur des caractères méristiques et anatomiques (notez qu’en taxinomie une tribu est le rang entre le genre et le niveau de la famille). Des travaux taxinomiques et phylogénétiques moléculaires ultérieurs ont érigé des tribus supplémentaires pour certains genres, tout en fusionnant d’autres tribus ( Takahashi, 2003 ; Takahashi et Koblmüller, 2011 ; Dunz et Schliewen, 2013 ).
Selon nos comptes, 208 espèces de cichlidés appartenant à 57 genres et 16 tribus sont décrites à ce jour dans le lac Tanganyika (y compris les espèces lacustres valides uniquement), tandis que de nouveaux taxa sont ajoutés presque chaque année (voir Fig.2 et Tableau 1). Notre affectation des espèces en tribus suit en grande partie les études basées sur la phylogénétique moléculaire par Muschick et al. (2012) et Dunz et Schliewen (2013) .
Fig.2 . Nombre cumulatif d’espèces de cichlidés décrites au fil du temps. Le nombre d’espèces décrites a augmenté au fil des ans de façon constante, avec une augmentation importante vers 1900, grâce aux travaux approfondis de George Boulenger, suivis d’une deuxième ascension abrupte entre les années 1940 et les années 1980 en raison des contributions de Max Poll. Notez que seules les espèces actuellement valides sont incluses, toutes les espèces synonymisées ultérieurement ne sont pas prises en compte dans cette étude (voir le tableau 1 pour les références). |
Tableau 1 . Liste des espèces de cichlidés lacustres décrites et valides du lac Tanganyika. Pour chacune des 208 espèces, l’affectation de la tribu, le nom initial lors de la description et la localité type signalée sont fournis. Si aucun holotype n’a été attribué, les localités d’échantillonnage des syntypes sont répertoriées. Notez que pour les deux espèces L. kungweensis et N. brichardi, le nom de l’espèce a changé et donc les noms et les références sont répertoriés. Seules les espèces indigènes et encore valides ont été prises en compte. Notation en exposant: 1 Espèces que nous considérons comme des «espèces de musée»; 2 Espèces que nous considérons comme des «espèces douteuses»; 3Espèces ayant une affinité pour les rivières, présentes dans le lac et dans le bassin du lac Tanganyika; 4 Espèce non endémique du bassin du lac Tanganyika. LT = lac Tanganyika; BUR = Burundi; RDC = République démocratique du Congo; TAN = Tanzanie; ZAM = Zambie. |
>Voir la nomenclature révisée des cichlidés du lac Tanganyika< |
«Espèces muséales»
La plupart des 208 espèces décrites cichlidés du lac Tanganyika peuvent être plus ou moins facilement rencontrées en plongée sous-marine ou en apnée ou achetées sur les marchés de poissons locaux. Par exemple, au cours des cinq dernières années seulement, nous avons pu collecter des spécimens de 182 des 208 espèces de cichlidés du Tanganyika décrites lors de campagnes sur le terrain au Burundi, en République démocratique du Congo (RDC), en Tanzanie et en Zambie, et un nombre similaire d’espèces a été photographié par un seul biologiste pendant env. 750 h d’observations sous-marines ( Konings, 2015). D’un autre côté, il existe cinq espèces de cichlidés qui, après leur description initiale, n’ont plus jamais été signalées dans la nature (au meilleur de notre connaissance). Ici, nous appelons ces espèces «espèces de musée», car elles ne sont connues que par le matéreil type dans les collections de musées (voir tableau 1 ).
Trois de ces espèces, L. stappersi Pellegrin, 1927 (a), Neolamprologus hecqui ( Boulenger, 1899a ) et N. wauthioni ( Poll, 1949 ) ont été collectées sur la rive ouest du lac Tanganyika et on ne sait que très peu de choses sur leur écologie, leur comportement ou sur la répartition de ces espèces. L’évaluation de L. stappersi et N. hecqui est encore compliquée par le fait que pour ces espèces seuls les holotypes existent dans les collections des musées. Il est donc difficile de les comparer à d’autres taxa, car aucune variance intra-espèce ne peut être déterminée. De plus, le seul spécimen disponible de N. hecqui a été prélevé dans la bouche d’un poisson-chat (Poll, 1956) et n’est donc pas particulièrement en forme. Les échantillons suivants recueillies dans le N. hecqui ont tous été réaffectés comme L . Meeli et L . boulengeri , respectivement (Van Wijngaarden, 1995 ; Konings, 2015). Pour N. wauthioni , une série de paratypes comprenant 13 spécimens collectés entre 1946 et 1947 a été déposée. Pourtant, cette espèce n’a jamais été collecté à nouveau (sauf pour certains spécimens attribués plus tard incorrectement identifiés à L. Ocellatus ( Steindachner, 1909b ) par Büscher (2007)). À l’heure actuelle et sans nouvelles collections, il est difficile de juger si ces trois espèces ont des aires de répartition inhabituellement petites limitées aux sections sous-explorées du littoral ou peuvent, étant donné leur similitude avec les espèces décrites plus loin, être des synonymes principaux d’autres taxa.
En revanche, il existe deux espèces supposément présentes dans des zones bien accessibles du lac Tanganyika, qui n’ont pas été signalées à nouveau après leurs descriptions et que nous listons par conséquent comme «espèces de musée» supplémentaires. Pseudosimochromis margaretae (Axelrod et Harrison, 1978) a été décrit sur la base de quatre spécimens prélevés à une profondeur de trois à six mètres dans la baie au large de Kigoma, en Tanzanie. Bien que les membres de ce genre soient généralement assez faciles à observer pendant la plongée avec tuba, nous n’avons pas réussi à collecter ou à observer cette espèce, malgré des activités intensives d’échantillonnage, de plongée et de plongée avec tuba dans la localité type signalée ou ailleurs. L’autre espèce est Lamprologus finalimus Nichols et LaMonte, 1931pour lequel seul l’holotype existe. Des activités de collecte et de recherche intensives dans et autour de la localité type au cours des dernières années (voir par exemple Van Steenberge et al., 2011 ; Mushagalusa et al., 2014 ; Fermon et al., 2017) n’ont révélées aucun autre spécimen de cette espèce. Dans les deux cas, le type de matériau indique une nette distinction avec leurs congénères. Cela suggère que P. margaretae et N. finalimus sont soit extrêmement rares, ont un style de vie très cryptique, soit pourraient avoir disparu.
De plus, nous aimerions mentionner ici Xenotilapia burtoni ( Poll, 1951a ), bien que, selon notre définition, cette espèce ne soit pas entièrement qualifiée d ‘«espèce de musée». Une série substantielle de types pour cette espèce a été collectée entre 1946 et 1947 dans la baie de Burton, en RDC. Cependant, à notre connaissance, cette espèce n’a été signalée à nouveau qu’une fois après sa description initiale (Fermon, 2007).
«Espèces douteuses»
Trois des 208 espèces de cichlidés officiellement décrites du lac Tanganyika sont classées comme « espèces douteuses » ici: Tropheus kasabae ( Nelissen, 1977 ) , T. polli Axelrod, 1977 et N. cancellatus Aibara et al., 2005 . Les deux premières espèces ont été suggérées précédemment, sur la base de la littérature mais pas sur des mesures morphologiques, comme synonymes juniors de T. moori Boulenger, 1898 et T. annectens Boulenger, 1900 , respectivement (Konings et Dieckhoff, 1992 ; Konings, 2013). Nous convenons ici que le statut de leur espèce est discutable, car dans les deux cas, la nouvelle espèce décrite n’a jamais été directement comparée au matériau type de T. moori et T. annectens , respectivement, pour lesquels la certitude de leurs localités types est également débattue (voir Konings, 2013 ; Konings et Dieckhoff, 1992 pour plus de détails). A ce stade, ces deux espèces devraient être considérées comme valides jusqu’à ce qu’une solide révision du genre Tropheus soit disponible, en cours de préparation (Van Steenberge, communication personnelle). La troisième espèce que nous considérons comme une «espèce douteuse», N. cancellatus,est signalé à partir d’un seul endroit en Zambie seulement. Il a déjà été suggéré, sur la base de motifs morphologiques, que cette espèce pourrait représenter un hybride entre les membres du genre Telmatochromis et Lamprologus (sensu lato) ( Konings, 2015 ). Des données génétiques récentes (Ronco et al., Non publiées) appuient cette hypothèse, de sorte que nous considérons N. cancellatus comme un hybride naturel occasionnel et le classons donc comme « espèce douteuse », nécessitant un examen plus approfondi.
Espèces de cichlidés du lac Tanganyika non décrites
En plus des 208 espèces de cichlidés officiellement décrites (y compris les « espèces de musée » et les « espèces douteuses »), un nombre important d’espèces non décrites jusqu’à présent ont été identifiées, en partie dans la littérature scientifique, mais dans une bien plus large mesure dans les revues des amateurs et dans le commerce des poissons d’ornement (notez que les cichlidés sont très populaires parmi les aquariophiles).
En l’absence de description scientifique appropriée, ces espèces putatives (ou variétés locales) sont généralement désignées sous des cheironymes, telles que les noms commerciaux ou les noms de leur lieu d’origine. Un grand nombre de ces espèces non décrites ont été incorporées dans des études scientifiques afin qu’il existe des données sur leur morphologie, leur écologie et/ou leur comportement ainsi que sur leur position phylogénétique et/ou la structure de leur population (voir par exemple Koblmüller et al., 2004 ,Koblmüller et al., 2007 ; Egger et al., 2007 ; Meyer et al., 2015).
Cependant, leur statut taxinomique n’est pas défini. Dans le tableau 2 , nous répertorions 55 espèces de cichlidés ou variétés locales non décrites signalées dans le lac Tanganyika dans la littérature scientifique et/ou populaire, que nous avons toutes pu observer et collecter sur le terrain et ont fait l’objet d’examens ultérieurs. Nous avons classé ces taxa dans les deux catégories «variété locale» ou «nouvelles espèces potentielles», sur la base d’observations et d’opinions personnelles (voir tableau 2). Nous ne prétendons pas ici que cela a des implications nomenclaturales. Au lieu de cela, notre intention principale est de souligner l’urgence des révisions taxinomiques de nombreux genres de cichlidés du lac Tanganyika pour clarifier le statut des taxa mentionnés dans le tableau 2 .
Tableau 2 . Liste des espèces et variétés locales non décrites. La catégorisation est basée sur nos opinions personnelles et les observations des activités de terrain et de collecte. La notation des cheironymes suit les conventions expliquées dans Snoeks (2000) . LT = lac Tanganyika; aff. = espèce affinis, suggérant que le taxon est similaire, mais distinct des espèces nominales mentionnées; cf. = confère, ce qui suggère que le taxon est comparable aux espèces nominales mentionnées (tableau 2).
>Voir les Espèces non décrites de cichlidés du lac Tanganyika< |
Défis taxinomiques des cichlidés du lac Tanganyika
La taxinomie des cichlidés en général, et celle des groupes d’espèces de cichlidés dans les Grands Lacs d’Afrique de l’Est en particulier, est très difficile (Snoeks et al., 1994 ; Snoeks, 2000), ce qui est en partie dû au grand nombre d’espèces présent et leur étroite parenté. Dans le lac Tanganyika, cela est encore plus compliqué par des cas d’évolution convergente au sein d’une radiation (Muschick et al., 2012), qui pourraient avoir contribué à plusieurs erreurs génériques. De plus, de nombreuses espèces de cichlidés du lac présentent des schémas de distribution complexes, vraisemblablement façonnés par la distribution inégale des habitats le long du rivage du lac en combinaison avec des fluctuations importantes du niveau du lac (entre autres raisons) (voir par exemple Sturmbauer et al., 2001).
Pendant les périodes de basses eaux les plus extrêmes, le lac a été subdivisé en trois sous-bassins (Salzburger et al., 2014 ). Cette séparation antérieure du lac dans les sous-bassins se reflète aujourd’hui par de nombreuses paires d’espèces sœurs montrant une distribution nord/sud (reflétant probablement la diversification allopatrique dans les sous-bassins) ou une distribution est/ouest (reflétant probablement la dispersion le long de la côte paléo-lignées).
Cependant, la taxinomie actuelle des cichlidés du lac Tanganyika ne traite pas ces cas de manière cohérente. Dans certains cas, les paires d’espèces vicariantes étaient nominalement décrites comme deux espèces (par exemple N. leleupi ( Poll, 1956 ) de l’Ouest et N. longior ( Staeck, 1980) de
l’Est); dans d’autres cas, ceux-ci ont été initialement décrits comme deux espèces (par exemple Telmatochromis dhonti ( Boulenger, 1919 ) du Sud et T. caninus Poll, 1942 du Nord) mais plus tard synonymisés (Poll, 1986); alors que dans d’autres cas, une seule espèce avait été décrite (par exemple, N. gracilis ( Brichard, 1989 ) de l’Ouest avec des rapports d’une variante locale sur la côte est, N. sp. «gracilis tanzania», voir le tableau 2). En particulier, les paires d’espèces Est-Ouest doivent être révisées, en vue d’un traitement taxinomique plus uniforme de ces paires d’espèces sœurs. Échantillonnage à l’échelle du lac et études phylogéographiques (Rüber et al., 1999 ; Pauquet et al., 2018 ; Koblmüller et al., 2019) pourrait servir d’outil utile pour les futures révisions taxinomiques traitant de cas aussi difficiles. De plus, ces études peuvent également contribuer à la détection d’espèces encore inconnues. Par exemple, une étude génétique à l’échelle du lac de la tribu Eretmodini a révélé une lignée distincte au sein du genre Eretmodus ( Rüber et al., 1999), qui a ensuite été décrit comme Eretmodus marksmithi Burgess, 2012 .
Affaires appelant à des révisions
Parmi les cichlidés du lac Tanganyika, plusieurs espèces sont mal placées au niveau du genre. Par exemple, Poll (1981) a regroupé deux espèces, Gnathochromis permaxillaris ( David, 1936 ) (espèces types du genre Gnathochromis ) et G. pfefferi ( Boulenger, 1898 ) dans le nouveau genre Gnathochromis , en fonction des caractéristiques morphologiques. Le travail moléculaire, cependant, a placé G. pfefferi solidement dans les Tropheini et G. permaxillaris dans les Limnochromini ( Salzburger et al., 2002 ; Takahashi, 2003).
Pourtant, leur nom générique reste jusqu’à présent inchangé. Il en va de même pour le genre Ctenochromis Pfeffer, 1893 : les données moléculaires ont montré que C. horei (Günther, 1894) appartient aux Tropheini, tandis que C. benthicola ( Matthes, 1962 ) fait partie des Cyphotilapiini (Muschick et al., 2012). Dans ce cas, aucune des espèces de Tanganyikan n’est l’espèce type du genre Ctenochromis . Dans les deux cas, le mauvais placement générique n’affecte respectivement qu’une ou deux espèces. Cependant, au sein des Lamprologini, l’attribution actuelle du genre semble en désaccord avec les connaissances phylogénétiques de la tribu pour de nombreux taxa (voir par exemple Colombo et al., 2016; Schelly et al., 2006). Ces cas illustrent la nécessité d’une révision taxinomique à grande échelle des cichlidés du lac Tanganyika.
Conclusions
Nous présentons un aperçu systématique de la diversité taxinomique du groupe d’espèces de cichlidés lacustres de l’ancien lac Tanganyika, en Afrique de l’Est. En particulier, nous fournissons un inventaire des espèces de cichlidés valides du lac Tanganyika et énumérons les espèces présumées non décrites ainsi que les variétés locales. Sur la base de cette compilation, nous estimons que le groupe d’espèces de cichlidés du lac Tanganyika comprend au moins 241 espèces, dont 208 (~ 86%) sont nominalement décrites et toutes sauf deux (99,2%) sont endémiques au bassin (voir Tableau 1 , Tableau 2 ).
Pour souligner la demande de révision taxinomique, nous avons mis en évidence certains taxa au niveau de l’espèce, du genre et de la tribu, nécessitant une étude plus approfondie.
Bien que le lac Tanganyika semble être un des écosystèmes aquatiques les plus étudiés en Afrique tropicale, un travail systématique de base est urgent. De solides connaissances taxinomiques constituent non seulement la base d’une étude scientifique, mais aussi de la conservation de la biosphère.
Comme de nombreux autres points chauds de la biodiversité, l’écosystème unique du lac Tanganyika fait face à de nombreuses menaces anthropiques. Par exemple, le lac est devenu le centre d’attention pour les futurs projets de forages pétroliers (voir Verheyen, 2016). Une compréhension globale de la diversité biologique du lac Tanganyika est la condition préalable de base à toute mesure de conservation, par exemple la délimitation de petites zones protégées (Sturmbauer, 2008).
Bien que la Liste rouge de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la liste rouge des espèces menacées) accepte les variétés et les sous-populations avec des réserves, les espèces ou sous-espèces valides sont plus faciles à évaluer dans le système (Sous-comité des normes et pétitions de l’UICN, 2006).
Remerciements
Nous tenons à remercier Adolfe Irakoze, Gerald Katai, George Kazumbe, Dinny Mwanakulya, Jimmy Sichilima et Humphry D. Sichilima Jr., pour leur aide et leur soutien pendant le travail sur le terrain; Victoria Huwiler, Mireille Schreyen-Brichard, Humphry D. Sichilima et Craig Zytkow pour avoir fourni l’infrastructure sur le site; Julie Himes pour les illustrations de poisson de la figure 3)
Gaspard Banyankimbona (Université du Burundi), Nshombo Muderhwa et Pascal Masilya (Centre de Recherche en Hydrobiologie, Uvira, RD Congo), Ishmael Kimirei (TAFIRI, Kigoma, Tanzanie), et Taylor Banda et Lawrence Makasa (Département des pêches, Mpulungu, Zambie ) pour obtenir de l’aide sur les permis de recherche;
Yves Fermon pour son aide sur le terrain et ses précieuses discussions sur la taxinomie des cichlidés; et Lukas Rüber et une critique anonyme pour des commentaires précieux afin d’améliorer ce manuscrit.
Les auteurs tiennent également à remercier le financement de l’ Université de Bâle , du Fonds national suisse et du Conseil européen de la recherche (ERC).
Fig.3 . Diversité taxinomique des cichlidés du lac Tanganyika par tribu.
Les partitions colorées dans le graphique à barres indiquent le nombre d’espèces décrites, différentes hachures sont utilisées pour mettre en évidence les «espèces douteuses» et les «espèces de musée». Les partitions blanches se réfèrent à ce jour aux espèces non décrites des deux catégories «description en préparation» et à ce que nous classons comme «espèces potentielles». |
>Voir la Bibliographie/Références de cet article<
>Voir la nomenclature révisée des cichlidés du lac Tanganyika<
>Voir les Espèces non décrites de cichlidés du lac Tanganyika<
Série de clichés réalisés lors d’une visite aux labos d’ichtyologie à l’Université de Bâle.