Biotopes naturels du Tanganyika

Biotopes naturels du Tanganyika

Biotopes naturels

D’après Éric Genevelle (1998)

Zone battue par les vagues.

Zone rocheuse libre de sédiments.

Zone rocheuse couverte de sédiments.

Zone intermédiaire.

Zone de la colonne d’eau libre.

Zone rocailleuse.

Zone sableuse.

Zone de vase.

La zone battue par les vagues

« Seul le mètre supérieur de la colonne d’eau du rivage est considéré comme en perpétuel mouvement. Une côte avec une inclinaison importante a une zone de brassage moins étendue qu’une côte avec des étages successifs. Une côte abrupte formée d’énormes rochers a une zone de brassage étroite, où le brassage est plus important que celui situé à 10 mètres de profondeur. Le rivage superficiel peut être sableux ou constitué de rochers. Parfois, un rivage sablonneux se termine par une plage de galets et nous ne pouvons considérer cette dernière comme un habitat rocheux battu par les vagues (tout au moins pour les premiers mètres). Les rivages constitués de falaises rocheuses seront décrits dans un autre chapitre.
Pourquoi faire cette distinction? La raison vient de l’existence d’un groupe de Cichlidés qui s’est spécialement adapté au tumulte causé par ce brassage des eaux: Les Cichlidés gobies. Dans ce biotope, l’eau est très bien oxygénée et les déchets de la faune (CO2) sont rapidement éliminés. Ceci entraîne une légère augmentation du pH en comparaison des autres habitats. Par ce brassage vigoureux, la température de l’eau reste relativement constante, même à la surface de l’eau.

Rivage rocheux.

Les Cichlidés gobies (Eretmodini) se sont adaptés à ce biotope de telle manière que c’est uniquement sur le sol que nous pouvons les trouver. Les Cichlidés gobies appartiennent à trois genres, eux mêmes divisés par des spécialisations en comportement alimentaire. Bien sûr, la nourriture doit être disponible au sein de ce biotope instable. Les Aufwuchs, une couche d’algue abritant une multitude d’invertébrés, forment la principale source de nourriture et favorisent ainsi leur présence. C’est pourquoi il est impossible de les rencontrer sur les rivages sableux superficiels. La surface des eaux peut être une bonne protection contre les poissons prédateurs. Les gobies couleur de sable se confondent parfaitement avec le sol quand on les regarde par-dessus (comme le font les oiseaux). Bien qu’ils aient besoin de ce terrain rocailleux pour se nourrir et bien sûr, pour se protéger, ils ne se limitent pas à ce territoire. C’est peut être la raison pour laquelle toutes ces espèces se sont dispersées à travers presque tout le lac. Pour résultante de cette dispersion, toutes les populations se ressemblent.

Eretmodus cyanostictus.

D’un point de vue purement anatomique, tous les Cichlidés gobies ont un corps compressé et une longue nageoire dorsale. Utilisant leurs nageoires ventrales et pectorales, ils s’accrochent aux gravas pour résister aux vigoureux mouvements de l’eau. Leur nage rudimentaire leur évite de se faire balayer par les vagues. Incapable de nager convenablement, le Cichlidé gobie tombe au fond dès qu’il arrête de bouger ses nageoires. Cette nage rudimentaire est une adaptation typique de la vie dans les eaux turbulentes et cette caractéristique se retrouve dans beaucoup d’espèces de cet habitat. La nageoire dorsale, qui consiste en une large partie épineuse et une partie souple légèrement striée, joue un rôle primordial dans la stabilité du poisson. Complètement érigée, la nageoire joue le rôle d’une voile et évite au poisson de rouler. Tous les Cichlidés utilisent cette partie souple de la nageoire dorsale pour stabiliser leur position. Les mouvements de cette partie de la nageoire vont cependant pousser le Cichlidé vers le bas (c’est une autre adaptation qui permet au Cichlidé gobie de se mouvoir sans quitter le contact avec le substrat). La partie épineuse de la nageoire fournit, en plus de la stabilité, un moyen de protection pour l’animal. Agressé par un prédateur, le Cichlidé gobie va ériger sa dorsale en s’enfuyant. Les principaux

Mastacembelus moorii

Mastacembelus moorii.

prédateurs des Cichlidés gobies sont les espèces de la famille des Mastacembelidae qui résistent à la turbulence des eaux en s’enroulant autour des pierres. Certaines espèces de Mastacembelus peuvent atteindre plus de 50 cm de long et sont de type carnivore. Les épines érigées de la nageoire dorsale peuvent lutter contre un oiseau pêcheur, mais un prédateur doté d’une grande adresse ne laisse que peu de chances à un Cichlidé gobie.

Nous avons parlé de l’adaptation aux eaux turbulentes, mais une autre adaptation, que nous pouvons rencontrer chez d’autres espèces inféodées au sol, est le développement des yeux légèrement globuleux. La plupart du temps, le Cichlidé gobie passe son temps à forer dans le sol. Ainsi, la position élevée de ses yeux est un avantage qui revêt de la plus haute importance. Les alentours peuvent être mieux surveillés et le substrat méticuleusement scruté.

Tous les Cichlidés gobies arborent une couleur de camouflage. L’important est non seulement de revêtir une robe couleur de sable, mais aussi de se couvrir de sombres rayures verticales en travers du corps. Quand nous observons l’ensemble de ce biotope ainsi que les profondeurs à proximité de ces rivages rocheux superficiels, nous sommes frappés par l’uniformité chromatique des Cichlidés. Sans omettre le nombre d’espèces n’habitant pas les trois mètres supérieurs de ce biotope, les poissons montrent tous des palettes de couleurs identiques avec des barres verticales sur le corps.
Pourquoi ?
Si vous observez la surface de l’eau sous l’éclat du soleil, vous verrez la réflexion de la lumière créer des ombres sur les reliefs du sol. Ces ombres créent un mélange de barres noires en perpétuel mouvement. Face à ces poissons plaqués sur le sol arborant une couleur sable et des barres sombres sur les flancs, les oiseaux pêcheurs n’ont que peu de chance de les remarquer, malgré la performance visuelle de ces rois de la pêche. » Ad. Konings – Tanganyika Cichlids »

Martin-pêcheur géant (Megaceryle maxima).

Martin-pêcheur huppé (Corythornis cristatus)

 

La zone rocheuse libre de sédiments

Libre de sédiment veut dire absence de sable au sein de la couverture biologique. Cela permet aux algues de fleurir dans de meilleures conditions. Le sable à la particularité de limiter la pénétration de la lumière et de réduire ainsi la croissance des algues. Un grand nombre d’espèces broutent la couverture biologique de ce biotope.

Tropheus duboisi.

L’habitat est caractérisé par des pavés rocheux de moyenne et de grande taille, entre 30 cm à 3 mètres de diamètre. Habituellement la côte descend par étages. Les rochers sont imbriqués les uns dans les autres et ne reposent pas sur le sable; Ce biotope est complètement dépourvu de sable. En comparaison avec la richesse des espèces vivant d’algues dans le lac Malawi, les algues du lac Tanganyika ne nourrissent que peu d’espèces. Ces espèces sont cependant abondantes.

 

La zone rocheuse couverte de sédiments

La limite entre le milieu rocheux libre de sédiment et la zone de roche couverte de sédiments est difficile à distinguer. Le meilleur élément qui nous permet de la distinguer est sa profondeur, je veux dire par là que cette zone est toujours située à plus de 3 mètres de profondeur. Jusqu’à 15 m, les rochers restent couverts d’une pellicule d’algues, mais cela reste sans commune comparaison avec les mètres supérieurs à ce biotope. De plus, une croûte de sel carbonaté couvre chaque objet situé à cette profondeur, et même au delà. Sur la couche superficielle de cette croûte de cristaux de sels se forme un relief coupant comme des lames de rasoir. Dans les zones plus sédimentaires, le sable couvre une partie des rochers.

Biotope rocheux couvert de sédiments.

Il est ainsi très difficile de définir, sauf arbitrage, la limite entre la zone rocheuse et la zone sableuse. Beaucoup de Cichlidés de ce biotope sont observés dans cette zone intermédiaire ou dite de transition. Cependant, nous ne parlerons dans ce chapitre que des espèces passant la plupart de leur temps dans cet habitat couvert de sédiments.

 

La zone rocailleuse

Il n’est pas difficile de voir la différence existant entre la paroi verticale rocheuse dont nous venons de parler et la zone consacrée au rivage (description faite dans les deux premiers chapitres). Bien que beaucoup d’espèces vivent indifféremment au sein de ces deux biotopes, les Cichlidés qui vivent dans ce biotope très spécifique, limité aux eaux superficielles ont développé des adaptations étonnantes pour vivre dans cet habitat. Il est souvent très difficile de tracer une ligne précise entre la fin de ce biotope et le début de la zone intermédiaire. Cette ligne, ou zone de transition se situe généralement vers 5 mètres de profondeur. C’est plus certainement l’intervention de la profondeur que celle de la nature du sol qui fait que certaines espèces se soient inféodées à cette zone.

Cette zone rocheuse à faible profondeur peut s’étendre jusqu’à 7 mètres, mais peut se trouver beaucoup plus en surface. Ce biotope abrite des espèces très réussies en raison de l’abondance de nourriture qu’il leur procure. Le sol est sableux mais pratiquement entièrement couvert de roches. La taille de ces blocs peut varier de la taille de petits galets à des ballons de football.

Biotope rocailleux avec Tropheus.

Biotope rocailleux avec N. fasciatus.

À d’autres endroits, ce biotope est couvert de sable avec une multitude de petites pierres qui jonchent le sol. A beaucoup d’endroits cette zone de gravats est si dense qu’elle en arrive à masquer tout le sable. Dans la partie Sud du lac, les roches sont beaucoup plus grosses que dans les autres régions et ce biotope peut ainsi abriter un plus grand nombre d’espèces spécifiques à ce milieu particulier. En général, la profondeur a plus d’influence dans cette distribution des espèces que la taille des roches ou la quantité de sable présent entre les pierres. La limite supérieure de ce biotope est représentée par la zone de ressac battue par les vagues.

 

La zone intermédiaire

La zone intermédiaire est décrite comme la région où se mélangent le sable et la roche. On peut distinguer deux différents types de zone intermédiaire. La première inclue la zone où la roche se termine à la frontière avec le sable. Cette zone est souvent rencontrée à des niveaux assez profonds et il n’est pas évident que certaines espèces puissent s’adapter à ces profondeurs relativement importantes. Quand cette zone intermédiaire est située à faible profondeur, on rencontre couramment Ophthalmotilapia nasuta. Le second type de zone intermédiaire débute à la fin du premier, en contrebas des éboulis rocheux. Pour cette raison, la frontière entre ces deux zones n’est pas facilement distinguable.

Il reste cependant que nous nous devons de faire la distinction entre cet habitat intermédiaire et le biotope décrit dans le chapitre précédent, la distribution des espèces présentes y étant différente. Nous devons réaliser que les espèces dont nous allons parler sont présentes surtout dans la zone où le sable et la roche se mêlent. Ces roches offrent au plus vulnérable une protection et un abri pour la reproduction. La présence de sable dans les régions supérieures est due principalement à l’action violente du ressac sur la roche.

A l’origine, le sol était constitué d’une multitude de petites pierres posées sur le sable. Dès que ce mélange est entré en contact avec ces eaux turbulentes, les pierres sont restées en place mais le sable a été charrié plus loin. Dans certaines zones escarpées, le sable est situé en contrebas de la roche, alors que ce mélange est souvent plus subtil lorsque la côte rocheuse est plus douce. En surface, le ressac n’est pas assez puissant pour chasser le sable sur de longues distances. On le trouve donc juste à la limite de ce biotope naturel.

B. microlepis

B. microlepis – femelle à Kala island.

La zone sablonneuse

Cet habitat est constitué d’une zone , parfois marécageuses, composée graduellement de sable grossier puis de sable très fin. Le sable fin se trouve dans les zones superficielles de ce biotope alors que le sable de plus grosse granulométrie est situé plus profondément en étant mélangé à des cristaux de sel, ce qui lui donne un aspect rugueux. Dans les quatre mètres supérieurs, on peut trouver des plantes de grande taille, bien qu’elles soient assez rares. Vallisneria aethiopica est parfois trouvée entre deux et quatre mètres de profondeur, mais pousse difficilement dans ces conditions faibles de lumière. Dans la baie de Kigoma, Ad Konings a pu collecter une plante vivant inconnue jusqu’alors qui vivait à plus de 4 mètres de profondeur entre les roches. Cette plante a des caractères communs avec Elodea dense mais n’appartient certainement pas au même genre. D’autres plantes de grande taille peuvent être trouvées dans des zones marécageuses, mais jamais dans le lac lui même.

Contrairement à ce que disent beaucoup de livres sur la propension qu’ont les Cichlidés de brouter les pousses des plantes, il est à préciser que très peu de poissons se nourrissent de Vallisneria. La seule espèce qui présente ce phénomène est Limnotilapia dardennii. Les seules plantes qui sont occasionnellement mangées sont des plantes assez hautes du type Nitella ou Chara. Ces dernières poussent à même le sol dans la zone superficielle du biotope en formant de grandes zones végétales sur le sol sableux. Au delà des huit mètres, les végétaux disparaissent pour laisser la place parfois à une accumulation de coquilles vides, par exemple du type Neothauma tanganyicense.

Xenotilapia aff. flavipinnis en zone sableuse.

Le fond vaseux

Le fond vaseux est composé d’un sol plat qui est dépourvu de sable. Ce fond plat peut être relativement souple et peut servir, soit de support à des constructions, soit être composé d’un mélange de sable et de limon. Ces mélanges peuvent en certains endroits former un ciment compact et composer des zones relativement dures dans lesquelles les Cichlidés peuvent creuser des trous et des tunnels. Cette boue issue des zones molles et des sols cimenteux sont dérivés des déchets organiques (excréments et organismes en décomposition comme le plancton). La plupart de cette boue vient cependant des rivières qui déversent leurs affluents.

Les zones profondes contiennent certainement moins de sédiments mais la plupart des Cichlidés qui nous intéressent vivent à moins de 30 mètres. Cette vase est le résultat d’une lente dégradation causée par les bactéries, qui à leur tour, nourrissent le plancton présent dans la colonne d’eau. Ce plancton peut être absorbé par différentes petites espèces de Cichlidé mais sont principalement la proie de petits crustacés comme les crevettes. le phytoplancton, vivant des sels dissous et de substances organiques, est pour une grande part mangé par ces crustacés. Ces derniers, avec les larves d’insectes, vers de terre et autres invertébrés forment le menu favori de beaucoup de poissons. Les prédateurs, situés à l’extrémité de la chaîne alimentaire, ne réussissent pas à se nourrir de cette source alimentaire (en parlant des proies en question).

La colonne d’eau libre

Dans ce biotope, les Cichlidés présentés vivent en groupes importants pour assurer leur protection individuelle. La présence du phytoplancton est le principal facteur qui a poussé ces populations de Cichlidés vers cette colonne d’eau libre bien qu’ils ne se nourrissent pas de cette source de nourriture. Le zooplancton, qui se nourrit de phytoplancton, compose la principale source alimentaire de ces espèces. Le zooplancton est cependant principalement absorbé par deux Clupeidae du genre Stolothrissa et Limnothrissa. Ces délicats et petits poissons (moins de 10 cm) se rassemblent en d’énormes bancs de plusieurs centaines de tonnes. Ces bancs procurent un apport de protéines non négligeable pour les riverains du lac et pour les habitants des pays voisins. Ce phytoplancton est dépendant de la lumière qui est abondante durant la journée, ce qui leur permet de descendre dans des zones plus profondes.

Haplotaxodon microlepis en pleine eau.

La clarté des eaux du lac permet aux rayons lumineux de descendre à une profondeur d’environ 30 mètres et ainsi l’existence de ce plancton au sein de ces zones durant cette période du jour. L’évolution du soleil dans le ciel créé donc une migration du plancton au cours de la journée. Le phytoplancton est habituellement trouvé mélangé au zooplancton qui adopte les mêmes mouvements migratoires. Ce déplacement vertical est aussi suivi par les Clupeidae qui sont pêchés la nuit par les riverains. Ces pêcheurs locaux attrapent ces poissons tôt le matin en approchant des lampes à huile au dessus de la surface de l’eau (pêche au Lamparo). En dehors de ces Clupeidae, des Cichlidés prédateurs de ces espèces sont couramment capturés ainsi que des cichlidés du genre Cyprichromis.

 

 

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