Les “Cichlidés gobies” du Lac Tanganyika.

Les “Cichlidés gobies” du Lac Tanganyika.

Tanganicodus et Spathodus.

Expérience aquariophile

Auteur:  Alain Zimmer (AFC 1692/67)

Eretmodus cyanostictus.

Introduction:

Les cichlidés-gobies sont originaires du lac Tanganyika Ce grand lac de l’Afrique de l’Est mesure 660 Km de long et jusqu’à 80 Km de largeur sa plus grande profondeur atteint 1470 m. Il est situé sur un rift, la Rift Valley, une zone de fracture entre 2 plaques tectoniques.

 

Eretmodus à Kalundu.Eretmodus dans le biotope naturel à Kalundu (R. D. du Congo).

Ces espèces vivent dans la partie supérieure de la couche d’eau, celle comprise entre 0 et 2 mètres, couche d’eau en perpétuel mouvement, fortement oxygénée (parfois en sursaturation) sous l’action des vagues levées par des vents soutenus. Les Cichlidés gobies se rencontrent sur tout le pourtour du lac Tanganyika. C’est dans les éboulis rocheux qui peuvent s’étendre sur 10 à 20 m de large, entre les pierres dont la taille est comprise entre celle d’un poing et celle d’un ballon de football, que ces espèces trouvent de nombreux refuges. Ces pierres sont recouvertes d’une couche d’algues brun vert dans laquelle se trouvent des micro-organismes, que l’on appelle « aufwuchs ».

  Eretmodus à Kalundu.

Eretmodus dans le biotope naturel à Kalundu (R. D. du Congo).

C’est dans cet environnement en constant mouvement que vivent les Cichlidés gobies (en référence à leurs homologues marins qui vivent dans la même couche marine) Souvent en fin d’après-midi, se lève un vent fort, la surface plane du lac se couvre de vagues qui viennent se casser contre le rivage, en créant de fortes turbulences sous l’eau. Les poissons qui vivent dans ce milieu se sont adaptés pour résister à ces masses d’eaux en mouvement, leur adaptation réside dans une vessie natatoire atrophiée qui, dès que le poisson arrête de nager, le plaque au substrat. Les nageoires pectorales sur lesquelles ces cichlidés se reposent sont situées en position basse.

La tribu des Eretmodini comprend 4 espèces : Spathodus erythrodon,  Spathodus marlieri, Eretmodus cyanostictus et Tanganicodus irsacae. Elles partagent la même niche écologique que les juvéniles de Tropheus et de Simochromis. C’est notamment le cas à Pemba ou les juvéniles de Tropheus se réfugient dans la zone d’éboulement à gauche et à droite en attendant une taille suffisante permettant de réintégrer la colonie d’adultes.

Consulter les Variétés géographiques connues de Spathodus.

Spathodus erythrodon  (Boulenger, 1900)

Dans la nature, le mâle atteint une longueur de 8 cm, la femelle reste plus petite, (en aquarium cela peut aller jusqu’à 10 cm). Il n’y a pas de dimorphisme sexuel. La coloration du corps est beige verdâtre avec des barres verticales, ce qui constitue un excellent camouflage dans les ombres changeantes créées par les rayons du soleil à travers l’eau. Un corps haut, des yeux en position élevée permettent de surveiller les prédateurs que sont les oiseaux et les Mastacembelidae (voir cahier Aquarama No 1 février 2002).

Cette espèce a une  bouche dirigée vers le bas, de grosses lèvres, le genre Spathodus n’a qu’une rangée de dents de couleur rouge orangée, droites et larges.

Cette espèce est incapable de nager correctement car adaptée à son milieu turbulent. Sa nageoire caudale est puissante, ce qui lui permet de se déplacer par petits bonds.

Spathodus erythrodon   Dans le lac, le Spathodus se nourrit d’algues ainsi que des invertébrés et des larves d’insectes qu’il racle sur les pierres, c’est un omnivore. Sa façon de se nourrir dans le lac nous renseigne sur l’alimentation à lui donner en aquarium. Il est vivement conseillé de compenser les algues par des micro algues en pastille (Spiruline), en complément.

On peut lui donner du congelé sans problème (daphnies, cyclops, mysis). On peut souvent l’observer en train de nettoyer les pierres des algues, il ouvre en grand sa bouche et arrache des pierres les algues avec un mouvement rapide si bien qu’il reste une trace visible. Son système digestif représente environ deux fois la longueur du poisson. Comme pour les Tropheus, il faut bannir toute nourriture à base de vers de vase et de cœur de bœuf.

Les relations intraspécifiques sont plutôt médiocres, plusieurs poissons dans un même aquarium ont des problèmes pour se supporter. Ils sont assez  agressifs. On a le choix, soit de mettre un couple, soit de mettre 5-6 juvéniles et dès qu’un couple s’est formé, de ressortir le surnombre. Il faut compter un minimum de 100 l pour un couple.Spathodus erythrodon couple

   Le bac de 280 litres dans lequel j’ai introduit un couple de Spathodus erythrodon est occupé d’un quatuor de Tropheus « Ilangi » ainsi que d’un couple d’ Altolamprologus calvus “Chaïtika “. Le bac a les dimensions suivantes : 1,20 x 0,60 x 0,40 cm, filtré sur mousse bleue (à cellules ouvertes) avec 2 exhausteurs. Ce qui donne une eau bien oxygénée à une température de 25 °C, un p.H. de 7.5 et une dureté moyenne de l’eau, pratiquement pas de nitrates. Un décor rocheux central fait d’un empilement de pierres, ainsi que des éboulis sur les côtés créent une multitude de cachettes, le sol est constitué de sable de quartz d’une granulométrie de 2 mm, et planté de Microsorum et d’une multitude d’Anubia.

On peut sans problème les associer avec des Tropheus, ou des Petrochromis, car ils ont la même alimentation et dans le lac ils vivent pratiquement dans les mêmes zones. On peut tout aussi bien les maintenir avec des Ophthalmotilapia, Cunningtonia ou Cyathopharynx, tout comme des Cyprichromis et Paracyprichromis. On ne mettra qu’une espèce de Cichlidé gobie par aquarium pour éviter toute hybridation. Il faut que les poissons se sentent bien dans l’aquarium , ne soient pas dominés, et qu’ils puissent se faire un territoire, pour se reproduire.

Mis à part quelques poursuites du mâle Tropheus « Ilangi » l’harmonie de l’aquarium est bonne .

   Les Spathodus sont des incubateurs buccaux bi-parentaux, c’est à dire que la femelle commence l’incubation et qu’elle transfert les alevins après environ une douzaine de jours, au mâle qui les garde environ 8 à 10 jours.Spathodus de Zambie.   Le couple s’est bien adapté et mange avec entrain .

Après peu de temps, les jeux de parade commencent et dès que la femelle est prête à pondre ,le couple défend un territoire dans lequel se situera souvent une pierre plate. L’accouplement a lieu sur la pierre , la ponte peut représenter entre 10 et 20 œufs de taille assez grande, de couleur jaune et de forme ovale. Dès que la ponte est finie la femelle va se cacher, je lui ai aménagé une cachette en hauteur à 5 cm sous la surface agrémentée d’une touffe d’Anubia dans laquelle elle se soustrait aux poursuites du mâle. Elle ne mangera pas pendant  l’incubation. Lors du transfert des alevins de la femelle au mâle , c’est la femelle qui va chercher le mâle et c’est elle aussi qui défend le territoire contre les intrus.

   La passation des alevins se fait dans l’eau libre à quelques centimètres du substrat. La femelle se positionne au-dessus du mâle et lâche une à deux larves à la fois, que le mâle s’empresse aussitôt de prendre dans sa bouche.  Le transfert est souvent interrompu et peut durer plusieurs heures. Cela représente une adaptation aux forts mouvements de l’eau régnant dans le lac qui pourrait disperser les alevins si la femelle les crachait tous devant le mâle. Tout de suite après l’échange, la femelle part se nourrir. Le mâle garde les larves environ une dizaine de jours, après quoi, il les lâche et ne s’en occupe plus. Les alevins sont livrés à eux-mêmes comme dans la nature et ils se cachent entre les pierres.
Mais le couple reste uni.

Pour récupérer les jeunes il vaut mieux attraper le mâle avant le lâcher des alevins et le placer dans un petit aquarium, ou avec un peu de chance il vous les crachera directement dans l’épuisette comme ça m’est arrivé. Les alevins ont un longueur d’environ 5 mm et un hauteur de 2 mm, une partie des jeunes ont une coloration claire et l’autre partie est foncée. D’après Ad Konings si on séparait les jeunes suivant la couleur, les clairs deviendraient des femelles et les foncés des mâles, à voir !

La première nourriture est constituée de nauplius d’artémias ou de paillettes finement broyées. Il arrive aussi que le mâle ne prenne pas les alevins au moment de la transmission par la femelle ce qui se solde par la perte de la ponte. Ont-ils été dérangés ? Alors qu’avant ils se reproduisaient dans ce même aquarium où rien n’a été changé…

Spathodus marlieri.(ndlr : il y a visiblement un certain nombre de formes géographiques de l’espèce).

Spathodus  marlieri  (Poll, 1950)

C’est le plus grand des Cichlidés gobies. Son corps marron gris change avec l’environnement où il se trouve. Il a des points bleus sur le haut du dos, la nageoire dorsale est bordée d’un liseré orangé ainsi que le haut de la nageoire caudale. Les sexes se distinguent facilement à l’âge adulte, les mâles présentent une bosse au-dessus des yeux plus développée que chez les femelles. Le mâle atteint une longueur de 10 cm, la femelle est plus petite: environ 7 cm.

   Spathodus marlieri se trouve essentiellement dans le nord du lac Tanganyika. Il vit dans la partie basse de la zone des 0 à 3 mètres, il n’a pas de territoire défini , il ne vit pas vraiment en contact du substrat comme les autres espèces.

   Spathodus marlieri n’est pas un incubateur bi-parental comme les trois autres espèces.

Spathodus marlieri.

Le substrat de ponte est une pierre plate se trouvant dans son territoire, pendant la ponte le couple adopte la position en T. Les œufs sont pondus un par un, fécondés par le mâle, puis la femelle les prend immédiatement en bouche. Après la ponte le couple ne reste pas ensemble, la femelle s’occupe seule des œufs et des larves Elle incube environ trois semaines, au bout de ce délai elle lâche les alevins qui sont livrés à eux-mêmes.

En aquarium Spathodus marlieri mange toutes les nourritures, flocons à base végétale, congelé (mysis, daphnies, cyclops).

C’est le plus teigneux envers ses congénères et les autres pensionnaires de l’aquarium.

 

Consulter les Variétés géographiques connues d’Eretmodus

Eretmodus cyanostictus (BOULENGER, 1898)Eretmodus cyanostictus.

Cette espèce ressemble beaucoup à Spathodus erythrodon, le mâle a environ la même taille de 8 cm (elle peut devenir plus grande en aquarium) La femelle est aussi plus petite, il a des points bleus sur la tête et tout le haut du corps ainsi que dans sa longue nageoire dorsale. Cette dernière est aussi bordée d’un liseré rouge noir comme la moitié supérieure de la nageoire caudale. La coloration des adultes d’E. cyanostictus varie, selon les différentes races géographiques.

   E. cyanostictus possède une bouche dirigée vers le bas et très large,  avec des dents de couleur rouge en forme de spatules sur trois rangées dans la mâchoire inférieure et sur deux rangées dans la mâchoire supérieure.

Dans le lac, à quelques centimètres sous l’eau, on peut déjà observer les jeunes entre les pierres, les adultes se rencontrent entre 1 cm et 1.20 m de profondeur, rarement en dessous. Les poissons ne nagent pas de longues distances mais défendent leur territoire contre les intrus de leur espèce ou autres. On les trouve soit seuls soit en couple, les relations intraspécifiques sont assez médiocres.

La reproduction est semblable à celle de Spathodus erythrodon.

Eretmodus cyanostictus (Zambie).

Eretmodus en milieu naturel en Zambie.

Consulter les Variétés géographiques connues de Tanganicodus “clic”

Tanganicodus irsacae (POLL, 1950)

C’est le plus petit des 3 espèces de Cichlidés gobies, le mâle mesure entre 6 à 7 cm, la femelle reste plus petite. De coloration gris beige avec des points bleus sur la tête et le haut du corps et une tâche noire dans la dorsale. Il a une bouche plus pointue que Spathodus et Eretmodus, et des dents longues et pointues sur une rangée. Si on le regarde de près, on voit bien ses dents qui dépassent de sa bouche.  Ils les utilisent comme des peignes pour récupérer les copépodes et larves de moustiques dans les algues, ou dans les anfractuosités des rochers. On le trouve dans la partie nord du lac.Tanganicodus irsacae.   Cela fait quelques années que je maintiens et fais se reproduire ce magnifique cichlidé, j’avais acheté dans un magasin cinq Tanganicodus irsacae, espèce que je cherchais depuis quelques temps. Ils ont été introduits après une quarantaine, dans un bac de 210 l occupé par des jeunes Tropheus sp. black “Pemba”.

Le bac est agencé avec des bouts de brique rouge creuses ainsi que des pots de fleurs couchés , les poissons se pourchassent et se cachent dans les briques ou les pots de fleurs et il n’y a que leurs têtes qui dépassent. Deux couples se sont formés, et se sont reproduits plusieurs fois. Ce sont des poissons calmes qui passent leur temps à se déplacer par bonds et à observer les alentours entre chaque bond.  Leurs relations intraspécifiques sont bonnes à part quelques poursuites. Il n’y a jamais eu de problèmes. Les deux couples ont bien cohabité. Leur espérance de vie dépasse rarement les deux ans.

Comme pour les autres gobies, son alimentation doit se composer d’une partie végétale importante

Incubateur buccal bi-parental comme les autres espèces précitées. Petite ponte qui ne dépasse pas la dizaine d’œufs. Mais il peut aussi arriver que la femelle mène l’incubation toute seule jusqu’au bout sans échange des alevins avec le mâle.

Ces espèces permettent d’occuper une partie de l’aquarium souvent désertée par d’autres groupes de cichlidés. Dans ce domaine, il font concurrence aux cichlidés conchylicoles du lac Tanganyika, mais ceci est une autre histoire.

-Article paru dans Aquarium Magazine de juin 2002-

 

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