Espèces proches mais dissemblables

Comment différencier certaines espèces du lac Tanganyika ?
Ici nous allons tenter de donner des arguments qui permettront à tous de faire la différence entre certaines espèces proches qui, pour certaines, sont encore parfois confondues, mélangées par manque de connaissances. Les “légendes urbaines” induisant tout le monde en erreur (pour certaines depuis des décennies, par défaut de détermination précise…).
Très souvent il m’est donné de devoir remettre les choses en place sur le net (sites ou réseaux sociaux), car régulièrement des gens donnent des noms erronés à certaines espèces. Le problème venant bien souvent des pêcheurs/exportateur qui ne suivent pas l’évolution de la nomenclature qui, rappelons le, n’est pas figée, fixée une bonne fois pour toutes dans le marbre. Certaines études amènent les scientifiques spécialisés (ichtyologues) à réviser certaines familles, genres, espèces, tendant vers de plus en plus de précision.
L’arrivée de la génétique dans ces recherches a bouleversé pas mal d’idées basées sur la morphométrie, et la phénotypie. Par exemple la convergence évolutive peut arriver à nous faire penser que des poissons vivants dans des lacs différents, se retrouvent avec une morphologie très proche, ce fait mettant en valeur la plasticité phénotypique en fonction des spécialisations.
Comparons pour commencer des convergences entre des cichlidés des lacs Malawi et Tanganyika :
Il ne faut pas oublier la faculté qu’ont la plupart des lamprologiens à se croiser, dans le milieu naturel cela n’est pas rare, et il faut juste garder à l’esprit qu’un individu croisé pourra s’accoupler avec l’une ou l’autre espèce, ajoutant au brassage génétique et à l’évolution des espèces. Plus rarement, plusieurs individus se retrouveront avec les même caractères, qui pourront se fixer avec le temps. C’est ce qui est arriver souvent au cours des âges avec les variations de niveau du lac. La séparation d’avec la population mère, et l’isolement a ainsi pu “créer” de nouvelle branches (spéciation).
Par exemple chez Tropheus, il existe une population bien connue à Mpimbwe, ils ont les joues rouges mais, séparées par une plage, nous trouvons la variété similaire à joues jaunes (Korongwe). Durant la dernière montée du niveau ils sont dû être séparé, chacun évoluant séparément, (nous avons pu croiser des individus avec les joues rouges et jaunes d’un côté à l’autre de façon erratique…
Nous pouvons ajouter les populations qui ne vivent que sur un îlot isolé, tel que les Tropheus moorii “murago” de Tanzanie, et il y a plein d’autres exemples comme ceux là.
Des différences visibles
Ce qui va être traité n’a pas non plus pour vocation de différencier les “sous-espèces”, sp. ou sp. aff., mais bien différencier des espèces, tout simplement, confondues régulièrement. Je ne vous parlerai pas des Telmatochromis sp. et aff. temporalis, ou des différentes variations entre les différents Cyprichromis par exemples. Ni des différentes espèce de petits Lepidiolamprologus qui s’avère assez difficiles à démêler…
Chez les Telmatochromis élancés.
Le premier complexe d’espèces qui m’a été donné de démêler, a été celui des Telmatochromis élancés, tant que je n’avais pas vu chaque espèce évoluer sous mes yeux, les différences morphologiques ne me sautaient pas aux yeux. Par la suite j’ai donc su que T. vittatus a le front bombé et des yeux petits proportionnellement, T. brichardi a un museau plus “pointu” et des yeux plus grands proportionnellement, quand à T. bifrenatus sa deuxième ligne noire au milieu du dos nous donne juste la bonne information qui permet d’éviter les égarements. N’oublions pas T. sp. congo (schachbrett) a un museau à l’angle moins obtus que T. vittatus des vermiculures plus ou moins apparentes dans la ligne sombre longitudinale ne laisse planer aucun doute sur l’espèce. Une petite précision s’impose en rapport avec les juvéniles, chez T. vittatus, les yeux peuvent apparaitre grands proportionnellement, pour le néophyte il convient d’être prudent et ne pas hésiter à demander des précisions.
Entre Neolamprologus brichardi et pulcher.
Continuons simplement et rapidement avec deux espèces bien connues et répandues dans le milieu aquariophile, j’ai nommé N. brichardi et N. pulcher. Durant quelques années il a été question de synonymiser ces deux espèces proches, hors base phénotypique. Mais les derniers travaux effectués sur le génome démontre clairement une séparation suffisamment ancienne, pour rendre acceptable la séparation. Le nouvel arbre phylogénétique a permis de démontrer que les deux types se sont séparés, il y aurait un peu plus d’un million d’années…
La différence peut parfois être ténue, certaines variété locale ayant des ressemblances (par les dessins des ouïes) les uns avec les autres, que l’on pourrait considérer comme intermédiaires. Car ce sont bien ces dessins qui permettent de faire la différence au premier coup d’œil, encore faut-il le savoir. brichardi ayant un dessin en forme (plus ou moins) de ⟝ (un T couché), pulcher ayant quand à lui deux chevrons côte à côte «.
Quelques non-cichlidés.
Il n’y a pas que des cichlidés qui posent problème, pour les Mastacembelus, les choses sont généralement claires, même si de légères différences peuvent se faire sentir pour certaines espèces, là n’est pas notre champs de démonstration.
Pensons aux Synodontis, je vois au moins deux paires d’espèces qui méritent qu’on s’y arrête. les S. petricola & lucipinnis, et S. grandiops & multipunctatus. Comme toujours, ces espèces peuvent apparaitre semblables lorsqu’on n’a pas eu le loisir de les observer toutes indépendamment. Mais dès qu’on a eu affaire avec chacune, les différences sautent aux yeux immédiatement.
Tout d’abords penchons nous sur petricola/lucipinnis. Je dirais qu’à l’âge adulte aucun doute n’est permis, lucipinnis restant bien moins grand que petricola, lucipinnis et aussi plus haut de corps proportionnellement (donc petricola a une allure plus élancée), l’implantation des nageoires et leurs pigmentations diffèrent également.
Nous pourrions nous pencher sur le processus huméral, cela sera cité à titre d’exemple, sans entrer dans les détails.
Puis viennent S. grandiops (“coucou” du Tanganyika) et S. multipunctatus, eux aussi sont grandement différents, et la base est aussi la taille adulte, et là la différence est flagrante. Quand grandiops atteint à peine les 15 cm, multipunctatus lui, atteint les 30 cm. ! L’autre fait marquant nous est donné dans le nom du premier “grandis” qui signifie supérieur, croissance, et “ops” qui se réfère aux yeux qui sont proportionnellement plus grand, ce caractère apparait clairement sur ce montage photo de comparaison, étant nettement plus petit proportionnellement pour multipunctatus. L’implantation et la pigmentation des nageoires permettant également de faire la différence. |
N. savoryi et N. pulcher ont “fauté”…?
Dans un autre ordre d’idées, nous avons des “croisements” récents (introgression), ainsi, Heinz Büscher a découvert lors de ses plongées dans le lac, dans le secteur de Kombe en Zambie, une espèce bien implantée. Cette espèce semble avoir ses caractères bien fixés, et aucune variation ne semble affecter ce pool.
Si on est habitué aux espèces commune du lac, nous pouvons immédiatement mettre un nom sur les deux espèces qui ont croisé leurs gènes… Cette livrée bistre, et ces chevrons nous rappellent clairement N. savoryi X N. pulcher. La génétique nous apprend que l’espèce est plus proche de savoryi, et qu’ils se sont séparés il y a environ 5/600 000 ans.
Encore un poisson “gris” pour changer… 🙂
Les Altolamprologus, ‘Lamprologus’, Neolamprologus.
Chez Altolamprologus le caractère affirmé qui les différencie est, comme l’indique le nom du calvus (=chauve), l’absence d’écailles sur le front, à l’inverse de compressiceps.
En vert l’implantation des écailles par rapport à l’axe de l’œil en rouge.
Dans les petites espèces, il y a les conchylicoles. En particulier les deux plus petits, Lamprologus similis et Lamprologus multifasciatus, tous deux conchylicoles. Mis à part leurs tailles respectives (similis étant en moyenne plus grand de quelques millimètres), il y a l’implantation des rayures et leur nombre qui permet de les identifier à coup sur. Pour similis la tête voit une grosse barre descendre jusque dans l’ouïe, alors que chez multifasciatus elles sont moins contrastées et plus en retrait sur la tête. Chez ce dernier, il y a aussi le nombre plus important de barres (ce qui les rend plus fines), et donc sa taille (2.5 cm) qui en fait le deuxième plus petit cichlidé du monde après Apistogramma angayuara Kullander & Ferreira, 2005.
Pour suivre, voilà deux espèces qui ne peuvent être confondues, ils sont aussi assez dissemblables, mais certains ne savent pas comment faire la différence. Ces deux espèces se rencontrent dans la partie centre-sud du lac sur les côtes du Congo et sont très proches sur l’arbre phylogénétique.
Il s’agit de Neolamprologus pectoralis et Neolamprologus nigriventris.
Nous avons également chez le genre Neolamprologus les “jaunes”, N. leleupi et N. longior.
N. leleupi est répartit dans la partie nord et ouest du lac (Congo), alors que N. longior se trouve sur les côtes sud-est (Tanzanie). Nous passerons sur les différentes morphes qui varient du jaune au gris bleuté (qui peut être pourraient avoir le propre nom d’espèce, vu leurs différences morphologiques) pour longior, côté Congo également chez leleupi il y a des variations de pigmentation.
Chez Cyprichromis.
Après, il y a les Cyprichromis, nous nous arrêterons aux leptosoma du sud qui sont les plus communs. Dans toute la partie sud (ou presque) des côtes Tanzaniennes nous trouvons le C. leptosoma généralement collecté à Utinta (Silaf rocks), cette variété a un ocelle jaune (dans les rayons mous de la nageoire dorsale) pour le morphe à queue jaune, et bleu ‘nuit’ pour le morphe à queue bleue. Après la rivière Kalambo qui est une frontière pour nombre d’espèces, la nageoire dorsale devient unie, sans marque distinctive. Ils sont donc parfaitement identifiable mais certains magasins donnent des appellations erronées, en inversant souvent les deux origines, donc Utinta (sud Tanzanie), Mpulungu/Isanga (Zambie).
Les “Gobies”.
Faisons un tour chez les “Gobies”, chaque espèce a ses singularités, Pour déterminer les Tanganicodus par exemple il y a, en plus de leur museau “pointu”, une tache noire typique à la base des rayons du milieu de la nageoire dorsale, pour le Eretmodus ce sont les ponctuations de bleu qui différencies le cyanostictus du marksmithi. Il nous reste les Spathodus, entre marlieri et erythrodon, c’est la bosse qui fait la différence, erythrodon ayant le front plat.
Ectodinis.
Nous terminerons ce petit tour d’horizon avec 3 espèces de Xenotilapia également trop souvent (encore) confondues, il s’agit de X. boulengeri, X. ornatipinnis & X. sima. Il faut d’abords connaitre une part de leur biologie. X. sima et ornatipinnis vivent en profondeur dans les zones d’estuaires, se nourrissant dans les limons déposés ; dans le substrat, alors X. boulengeri vit beaucoup plus proche de la surface et est croisé régulièrement en zone rocheuse et intermédiaire où il n’hésite pas à s’aventurer et à se nourrir. Passons sur le fait que boulengeri est le plus grand représentant du genre avec sa taille > 20 cm à l’âge adulte.
Une tête courte et massive, de gros yeux, voilà des points de ressemblance entre ornatipinnis et sima. Ils possèdent également ces lignes iridescente (iridocytes), qui apparaissent bien différemment chez X. boulengeri (voir montage photo pour comparaison). Les dessins de la dorsale apparaissent nettement chez ornatipinnis d’où son nom “nageoire décorée”, le front étant plus tombant pour sima qui signifie “camus, plat et écrasé”.
J’aurais pu aussi vous parler des Xenotilapia longispinnis et burtoni pour leur ressemblance avec ces derniers, mais le présence est tellement rare, que je me contenterais de les illustrer.