Phylogénétique

Phylogénétique

Phylomachinchose
Systématique

Eric Genevelle (mai 1999)

Tout de suite ! Les grands mots ! ! !

Pour qui il se prend le Sieur Eric pour nous parler de systématique, de phylogénétique. Il n’est en aucun cas systématicien. Il ferait mieux de s’occuper de retaper ses Tropheus.

Et bien non. Justement ! Il va vous en parler parce que ce n’est pas un spécialiste du domaine et qu’il est confronté aux mêmes difficultés que vous. C’est ce qui s’appelle de la vulgarisation faite par un incompétent qui cherche à comprendre.

La problématique

Vous avez pu le remarquer ! Pas un seul article sérieux sur les cichlidés qui ne parle de systématique. Qu’est ce que la systématique ?
C’est un mot de la langue française qui, bien que parfois délicatement omis dans les textes, vous jaillit en pleine face à lecture de certains mots volontairement incompréhensibles.

Souffrons donc quelques instants : « monophylie », « SINES », « mitochondrie », « séquençage de l’ADN », « radiation », « convergence », etc, etc….

Il est vrai que nous avons dans le site un Docteur… dans la personne du Sieur Dubuisson, alias, le pro des Cyprichromis, un Docteur qui ne fait QUE travailler sur la systématique (bon, il est vrai que c’est sur les fougères, on ne peut pas être parfait !), mais qui, vu son niveau de compétence, est incapable de nous expliquer ce que c’est que la systématique sans partir dans des pages et des pages d’explications. Explications assimilables que sous contrôle vétérinaire avec une bonne dose d’aspirine (j’ai vidé ma boite !).

 

 

Bref, pendant des années j’ai laissé tombé les chapitres et articles traitants de phylomachinchose. L’origine de mes cichlidés ? Ben, le lac Tanganyika. Le reste… on verra plus tard.

Mais il est arrivé un jour où certains éminents spécialistes ont décidé de changer le nom de mes chers pensionnaires. La mode me direz-vous. Que nenni !
C’est à cause de la dernière étude d’ARN, certes controversée, puis validée par les études des SINES qui ont montrées que, en se basant sur l’origine monophylétique du groupe des ossifiés, a montré que maintenant …/…/… notre cher poisson allait s’appeler “Séraphin Tartempion“.

N’étant pas plus con que la moyenne, j’ai voulu en savoir plus sur cette sois disant systématique, étant persuadé que j’en ressortirai gagnant.

La décision de me plonger dedans est venue le jour où, ayant collationné au MNHN des articles a caractère scientifique sur les cichlidés du Tanganyika, je me suis aperçu qu’en dehors de l’introduction et de la conclusion, je n’avais pas capté grand chose (quand ce n’est pas sauté des pages). Évidemment, ces publications sont en anglais, ce qui ne facilite pas les choses. Reste que de ce côté, nous avons de la chance, le vocabulaire scientifique étant plus ou moins international.

Je vais donc tenter de vous expliquer, non les bases (incapable), mais en quoi la systématique joue un rôle important dans l’étude de nos chers cichlidés. Ca risque d’être un sacré foutoir, truffé d’imprécisions, mais pas rébarbatif (garanti).

Pour commencer, une règle de base : Un cichlidé ne meurt pas de Systématique. C’est déjà ça de pris. Ensuite il vit très bien sans. Nous aussi (un point qui nous rapproche, mais non confirmé par les études d’ADN).

Plus sérieusement. Pourquoi parle t-on tant de systématique pour les cichlidés ?

Tout simplement parce qu’ils sont un modèle vivant de l’évolution. Avant de connaître les cichlidés des grands lacs, les systématiciens travaillant sur l’évolution des espèces étaient en mal d’exemples concrets. Il est en effet difficile de voir comment évolue un fossile et les étapes intermédiaires entre deux espèces sont souvent manquantes. Ainsi, lorsque l’on regarde les arbres phylogéniques (qui retracent à la manière d’un arbre généalogique les différentes étapes de l’évolution – cf, vos livres de 6ème B) on a du mal à comprendre comment le plus proche parent de l’éléphant est une sorte de petite souris de quelques centimètres. Les scientifiques devaient donc imaginer, observer des ossements vieux de plusieurs milliers d’années pour arriver à des conclusions hypothétiques. C’était déjà un net progrès par rapport au XVIII ème siècle où l’on imaginait que les espèces étaient fixées depuis l’origine par notre illustre créateur. Et puis un jour, on a découvert que les cichlidés des grands lacs africains évoluaient à une vitesse surprenante (certaines espèces semblent avoir moins de 200 ans d’existence). Ce fut la révélation (les fougères et les orchidées en sont d’autres). Il ne fallait plus attendre des milliers d’années avant de voir naître de nouvelles espèces et les étudier. Les grands lacs sont ainsi devenus des véritables laboratoires où les tous les plus éminents spécialistes se sont un jour retrouvés à patauger. Notre soucis, c’est que tous ces spécialistes sont rarement des aquariophiles (d’où notre jalousie bien compréhensible lorsque l’on apprend que tel Japonais a passé 6 mois sur le lac à compter les écailles d’un malheureux Haplotaxodon).

 

Voilà donc pourquoi on nous parle tant de systématique à propos des cichlidés du Tanganyika. Il y a des études à faire, des scientifiques pour s’y rendre, de la notoriété à récolter et donc des parutions à diffuser.

Heureusement, il y a des scientifiques aquariophiles (ce n’est pas incompatible). Grâce à eux, ces publications nous parviennent et sèment le trouble dans nos petites têtes non préparées à ces écrits incompréhensibles.

Le soucis dans la systématique (l’étude des relations parentales entre les espèces ou en plus compliqué : “La Systématique est l’étude et la description de la diversité des êtres vivants, la recherche de la nature et des causes de leurs différences et de leurs ressemblances, la mise en évidence des relations de parenté existant entre eux et l’élaboration d’une classification traduisant ces relations de parenté”), c’est que les spécialistes ne sont pas tous sur la même longueur d’onde.

L’exemple évident relève de la définition d’une espèce (pourtant primordial). Sans rentrer dans les différentes définitions en vigueur (pour cela, allez dans l’article de Jean-Yves), on est confronté à différents problèmes. En fait, et pour aller à l’essentiel, qu’est ce qui différencie deux espèces ?

Plusieurs options :

2 espèces qui ne se ressemblent pas (mais sur quel critère ? ? ?).

2 espèces qui ne se croisent pas (dans le milieu naturel ou dans l’aquarium ? – et si la descendance est fertile ? ? ? , on fait quoi ? Tout le complexe brichardi se croise sans aucun problème ! ).

2 espèces qui ne se reconnaissent pas (jusqu’à quel point si le choix du partenaire est limité ?).

2 espèces qui ont un comportement différents (Chaque individu diffère de son voisin).

2 espèces qui ont un caractère anatomique distinct (La longueur de nos coucougnettes ne change pas le fait que l’on soit tous des hommes).

2 espèces avec une différence de coloration (Je suis noir, tu es blanc… on est tous égaux (mais comme disait Coluche, il y en a qui sont petits, noirs et moches et que pour eux ça sera très très dur), mais les espèces du complexe brichardi se distinguent par la position des barres operculaires….)

Bref, aucun critère n’est à 100% valable

On arrive plus facilement à dissocier une espèce en deux nouvelles espèces lorsque l’on trouve dans le milieu naturel deux formes distinctes de la même espèce à un même endroit. C’est ce qui nous a permis de séparer les Tropheus sp. Red des Tropheus moorii (on trouvait en effet à Kiku et dans la baie de Nkamba deux Tropheus différents alors qu’il étaient préalablement classés dans la même espèce).

A moins que cela ne soit une espèce sujette au polychromatisme (deux couleurs différentes pour une espèce et au même endroit). Le doute est ainsi présent pour les espèces du genre Cyprichromis. En effet, tout le monde pensait que dans une zone précise, une espèce de Cyprichromis pouvait développer aléatoirement plusieurs formes. On s’est ainsi aperçu (Konings 99) que les formes de Jumbo de l’Est du lac présentaient à un même endroit plusieurs patrons :

– queue jaune / dorsale jaune
– queue bleue / dorsale bleue
– queue jaune / dorsale bleue clair, etc

On pensait alors que les femelles s’accouplaient indifféremment avec un mâle, quelque soit sa couleur. Mais il y a un mais, dans le sens où on s’est aperçu qu’en aquarium, les alevins issus des reproductions développaient parfois des patrons inexistants dans la nature (queue bleue / dorsale bleue clair). Il y aurait donc plusieurs espèces de Cyprichromis au sein du même banc ?

Ces quelques exemples montrent clairement que rien n’est simple dans la définition de la notion d’espèce. Chaque scientifique a donc ses propres critères et parvient à les faire accepter en fonction de leur notoriété.

C’est ainsi que Colombe & Allgayer ont en 1985 tenté de re-décrire le genre Neolamprologus en y ôtant deux espèces qu’ils décidèrent de placer dans deux nouveaux genres :
Variabilichromis moorii
Paleolamprologus toae
Pourquoi ? A cause d’un petit os ou d’un diamètre de l’espace oculaire entre …. (bref, peu importe, mais suffisamment valable suivant leurs critères de définition des espèces).

En 1986, Max Poll, plus reconnu alors dans le domaine, a refusé cette nouvelle classification et réaffirmait ses propres critères de distinction entre les espèces (au revoir Paleo et Variabili ! ! !). Ainsi, toujours selon Poll, le Lamprologus était le Lamprologue qui avait les nageoires ventrales arrondies et le Neolamprologus les ventrales pointues. Puis Poll nous quitte…

En 1997, une Américaine célèbre, Mélanie Stiassny (fort belle au demeurant), se penche sur les Lamprologues du lac Tanganyika et publie certains travaux préliminaires. « The new révolution ». Ainsi, les Lamprologus ne seraient pas présents dans le lac Tanganyika, mais uniquement dans ses affluents.

 

Au revoir les Lamprologus… Des Lepidiolamprologus migrent vers les Neolamprologus et inversement. La grande migration ! Tout ça à cause d’un petit os sésamoide présent dans la mâchoire de nos cichlidés. Certains en ont, d’autres pas, et selon Mélanie, c’est un critère de distinction flagrant. Je n’en doute pas un seul instant. Réjouissance de Robert Allgayer, le genre Variabilichromis est validé (pas le Paleolamprologus car on ne gagne pas à tous les coups), tout ça parce que le critère de distinction trouvé par Robert n’est pas en contradiction avec ceux utilisés par Mélanie.

Dans deux ans, on est en droit d’espérer une révision générale des lamprologus par un certain Joes. Espérons, comme le dit Konings, qu’il se sera rencardé sur les travaux de Mélanie car sinon, on n’est à l’abri de rien !

Conclusion, soyez célèbre, et tout ira bien.

Tout se complique ensuite lorsque l’on voit que les spécialistes du Tanganyika utilisent des critères contradictoires en fonction des espèces à nomenclaturer. Ainsi, pour certaines poissons on valide des espèces sur leurs caractères anatomiques comme les dents (Ophthalmotilapia boops se distingue d’O. ventralis par des dents tricuspides) alors que l’on reconnaît que chez d’autres la forme des dents varie en fonction du régime alimentaire et de l’âge du poisson (quand ce n’est pas lié au sexe). Chez d’autres cichlidés, les espèces sont jugées en fonction de critères chromatiques (forme des barres chez le complexe brichardi) alors que chez Cyphotilapia frontosa, on a décidé de ne pas séparer le genre en fonction du nombre de barres.
Mais où est donc la logique dans tout ça ? ? ?

 

Chaque spécialiste valide donc les espèces ou plutôt reconnaît ces dernières uniquement en fonction de ses propres critères. C’est ainsi que selon certain, le Neolamprologus helianthus est un N. pulcher car dans les deux cas les barres operculaires forment un V et que pour d’autres, ‘Lamprologus’ laparogramma n’est pas synonyme de ‘L’. signatus en raison de la différence d’intensité de ses barres corporelles.

 

 

Où trouver le bon taxon d’un cichlidé. Telle est donc la question. En réalité il n’y a pas de réponse. Le plus simple est de se référer au dernier ouvrage paru à la condition sine qua non que l’ouvrage soit épais, qu’il y ait des références à la fin et que l’auteur soit connu. Heureusement donc qu’il n’y a pas un ouvrage tous les ans ! ! ! Le summum est le dernier ouvrage qui s’appelle « Classification… » (ça fait très sérieux) Mais le dernier de la liste n’est jamais sorti !

 

Mais ce n’est pas tout.
La génétique s’en mêle et met la pagaille

Tout ça parce que des spécialistes ont voulu tout savoir de l’origine des cichlidés. On a d’abord cherché à savoir si ils avaient une origine maritime, puis à retrouver la trace de nos amis à travers les âges. Pour finir, on s’est penché sur l’origine des cichlidés du lac Tanganyika. Il y avait-il un ancêtre, ou plusieurs ancêtres qui auraient données les lignées actuelles (ou d’autres ayant disparues). Gros boulot en perspective d’autant que plus personne n’est là pour nous témoigner du passage en douane du lointain papa tanga.

On s’est aussi posé la question de savoir si les cichlidés du Lac Malawi avaient pour origine des cichlidés du lac Tanganyika. Cette supposition venait du constat que des espèces présentes dans les deux lacs se ressemblaient étrangement ou présentaient des comportements trop semblables pour que cela ne soit lié qu’au simple hasard.

Pour trouver une réponse, il fallait employer des moyens modernes. On a donc sauté sur les études basées sur l’ARN des mitochondries). En bref, sur l’étude des chromosomes et donc du patrimoine génétique des espèces (en se basant sur le fait que les mutations présentes sur un fragment d’ARN son rares, on estime en fonction de leur nombre l’âge des espèces. Le problème de ce type de méthode vient parfois du constat que les mutations ne sont pas régulières).

On a ainsi cherché à dater les espèces les unes en fonction des autres et par là tenté de définir des arbres généalogiques complexes (mais souvent incomplets). On a trouvé à boire et à manger d’autant que en certaines occasions, les spécimens observés étaient des hybrides entre races géographiques ou espèces, et ce, à l’insu des scientifiques. On a ainsi trouvé que Tropheus annectens était plus proche du Tropheus de Bemba que du Tropheus polli (alors que l’on sait aujourd’hui que polli = annectens). On a quand même trouvé que les cichlidés du lac avaient une origine monophylétique (un seul ancêtre qui serait issu du lac), point qui est toujours accepté. C’est, pour info, une des raisons qui ont poussées Mélanie à décider qu’il n’y avait pas de Lamprologus dans le lac, l’espèce type du genre Lamprologus (L. congoensis) vivant dans une rivière.

Ce type d’étude est encore utilisé pour distinguer des espèces proches et les résultats sont validés lorsqu’ils ne rentrent pas en contradiction avec les évidences.

On a aussi trouvé qu’il n’y avait pas de lien entre les espèces d’apparence semblable des lacs Malawi et Tanganyika. Ces ressemblances sont liées à la « convergence » , comme ils disent. Cela veut dire que deux espèces distinctes, lorsqu’elles sont soumises à des conditions identiques, développent souvent des adaptations similaires (morphologie, mode de reproduction, etc). Le phénomène de convergence est ainsi apparu plusieurs fois au sein même du lac Tanganyika. En effet, le mode de reproduction utilisant l’incubation est apparue 4 fois dans des lignées séparées.

Certains indices issus sur ce type d’étude ont montrés que les espèces du Malawi et du Victoria avaient pour ancêtre une lignée issue du Tanganyika. A confirmer cependant.

Depuis quelques années, on procède à des analyses utilisant les SINES. Pour faire simple, on détermine sur un brin d’ARN quelques zones que l’on repère avec précision. Ces zones (ou particules d’ARN) font partie du patrimoine génétique du poisson et évoluent très lentement dans le temps. On prend ensuite deux poissons d’espèce différente et on note les différences de position de ces fragments ou leur absence. A la fin du compte, on en déduit de qui vient de qui (si une espèce A et une espèce B ont un fragment d’ARN donné placé exactement au même endroit, alors, on peux penser qu’ils ont un ancêtre commun. Et ainsi de suite). Ces études paraissent plus fiables que celles sur l’ARN des mitochondries (jusqu’à preuve du contraire ou d’une autre technique qui condamne les précédentes).

De tous ces travaux, on en déduit donc des arbres généalogiques complexes qui servent à déterminer des genres et des tribus (ah ben quand je raconterai ça à ma femme ! ! !).

Vous comprendrez donc qu’il y aurait un grand intérêt à mettre en commun les études morphologiques (comme celles de Mélanie Stiassny) avec les études génétiques. C’est certainement là où le bas blesse. Personne ne s’en charge réellement. Il y n’y a que de rares cichlidophiles qui se coltinent cette tache en y ajoutant en plus les observations comportementales. Un travail de titan qui n’est presque jamais reconnu par les scientifiques.

 

C’est trop injuste !

Voilà, vous en savez donc un peu plus sur la systématique des cichlidés des grands lacs. Pour une première approche, rien ne sert d’en savoir plus. Le reste, c’est avec de l’aspirine que ça rentre, ou alors, il faut vraiment aimer ça (ça se fait ?)

 

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