Cyathopharynx foae

Cyathopharynx foae

Cy. foae

Cyathopharynx foae
« le grand trouble chez les Cyathos »

Eric Genevelle / Ad Konings / Philippe Burnel / Heinz Büscher / Martin Geerts
(mars 1999)

Cyathopharynx foae « Ikola »

Quoi de neuf chez les Cyathopharynx ?

Tout un tas de choses pas très claires. Pour tout vous dire, j’en perd mon latin (qui n’était déjà pas au sommet ces derniers temps). En effet, courant mars 99, je reçois un émail d’un passionné qui me parle de C. foae. C’est quoi ce truc la ? Je pense immédiatement à tout un tas de genres qui commencent par un C, mais ne me doute pas encore qu’il sous-entend le genre Cyathopharynx, celui-ci étant monotypique jusqu’à ce jour. Renseignements pris, il s’agit bien de notre fameux Cyathopharynx. Je pense encore à un sale coup de nos taxonomistes et me jette sur le site d’Ad. Konings pour en savoir un peu plus.

Qui est qui ?

Rien de franchement clair: Ad. valide le taxon Cyathopharynx foae pour ce que nous appelions alors le mystérieux Cyathopharynx sp. « Black furcifer ». La description daterait de VAILLANT en 1889. Cette description ne précise cependant pas le lieu de capture de l’holotype. J’insiste la dessus car ça a une grande importance. En effet, il y a longtemps que l’on savait qu’il existait au moins deux espèces de Cyathopharynx : la classique (façon de parler) et le « Black furcifer ». Ces deux poissons sont en effet rencontrés dans des mêmes zones comme à Moliro à la frontière entre la Zambie et le Congo, ainsi que dans d’autres parties du lac (Zambie, Tanzanie). Ces deux poissons ont des comportements légèrement différents et il semble que le Cyathopharynx furcifer habite des zones moins profondes (entre 5 et 15 m de profondeur), le Black étant parfois rencontré à 25 m de fond.

Cyathopharynx furcifer

S’étant également informé des découvertes de Hans J. Herrmann, Ad Konings avait traité de cette distinction dans le Cichlids Year Book N°1 (1991) et dans son ouvrage Back to nature (1996), il laissait planer le doute quand à la répartition exacte de ces espèces ou races. Il pensait alors (en émettant des réserves) que le furcifer était uniquement situé dans la moitié Sud du lac et le Black furcifer dans sa totalité.

En Mars 1998, Mikael Karlsson d’African Diving affirmait aussi qu’il existait plusieurs espèces de Cyathopharynx. Il avait lui aussi observé près de Kabwe (Tanzanie) au moins deux espèces dans le même habitat mais avait noté une différence de biotope préférentiel. La première espèce, le furcifer, était souvent rencontrée dans les eaux superficielles et les eaux stagnantes. On les trouvait ainsi dans des zones sablonneuses riches en sédiments où il n’était pas rare de trouver des plantes à foison. Cette première espèce construisait ses nids en forme de dôme à même le sable. L’autre espèce du genre, connue alors sous le nom de « Dark furcifer » était rencontrée tant dans le même habitat que les furcifer, qu’à des profondeurs plus grandes où les rochers étaient plus nombreux. Les nids étaient situés sur ces promontoires rocheux.

Le véritable (enfin, le connu) Cyathopharynx furcifer a été décrit par BOULENGER en 1898 (sous le nom de Paratilapia furcifer) à partir d’individus collectés à Mpulungu (Kinyamkolo) en Zambie. On y lit que ce poisson a une tache claire sur la tête. Il semblerait donc que ce soit bien le Cyathopharynx furcifer. Mais nous ne sommes sûr de rien car le Black furcifer est aussi présent dans cette zone. Observer l’holotype qui a servi à la description ne nous donnerait que peu d’information car les couleurs ont depuis longtemps disparues dans le formol. En conclusion, il est tout à fait possible (bien que peu probable) que BOULENGER ait décrit le sp. Black furcifer (donc le foae) et pas le furcifer.

Vous suivez ? J’espère, car ça va se compliquer !!!

La bataille des taxons

Autre point. Ectodus foae (qui est l’ancien taxon de C. foae) a été décrit la même année (1899) que le Tilapia grandoculis (espèce type du genre Cyathopharynx). Poll, en 1986 écrivait que BOULENGER considérait E. foae comme synonyme de T. grandoculis. Pourquoi donc ne pas avoir appeler notre Black furcifer Cyathopharynx grandoculis ? ***

Ad. Konings nous répond que BOULENGER avait soumis son manuscrit avant celui de VAILLANT et qu’il avait donc une priorité relative. Cependant, c’est la date de publication qui importe dans la taxonomie, pas celle de soumission. Aussi, il apparaît que la description de BOULENGER est paru quelques jours après Noël 1899 alors que celle de VAILLANT avant l’été de la même année. Donc, suivant le code de taxonomie, foae est prioritaire à grandoculis.

Enfin sachez que l’holotype de Tilapia grandoculis a été collecté à Moliro où comme je vous le disais tout à l’heure on trouve les deux formes de Cyatho et que la localité de l’holotype de l’Ectodus foae est inconnue. Avec tout ça, j’ai l’impression que on a le droit à pas mal de conclusions hâtives…

*** Sachez aussi que cette synonymie entre l’Ectodus foae et le Tilapia grandoculis annoncée par BOULENGER est discutable car nul part celle-ci est expliquée. Ainsi, qui ne nous dit pas que c’est le Paratilapia furcifer qui est synonyme du foae ? Rien, absolument rien. En partant de cette seconde hypothèse, on aurait aujourd’hui deux espèces; le Cyathopharynx furcifer et le Cyathopharynx grandoculis. Cette théorie est actuellement défendue par Philippe Burnel.
Cette théorie est loin d’être absurde car si dans cette histoire on est sûr de quelque chose, c’est que selon les descriptions, le furcifer est différents du grandoculis. Après, si on accepte que foai = grandoculis, alors furcifer ¹ foae. Mais comme on ne peux prouver que grandoculis = foae, alors furcifer ¹ foae n’est pas prouvé. Et si ce n’est pas prouvé, la seule certitude qui nous reste est que le « Black furcifer » = Cyathopharynx grandoculis.*** Sachez aussi que cette synonymie entre l’Ectodus foae et le Tilapia grandoculis annoncée par BOULENGER est discutable car nul part celle-ci est expliquée. Ainsi, qui ne nous dit pas que c’est le Paratilapia furcifer qui est synonyme du foae ?
Rien, absolument rien. En partant de cette seconde hypothèse, on aurait aujourd’hui deux espèces; le Cyathopharynx furcifer et le Cyathopharynx grandoculis. Cette théorie est actuellement défendue par Philippe Burnel.

Cette théorie est loin d’être absurde car si dans cette histoire on est sûr de quelque chose, c’est que selon les descriptions, le furcifer est différents du grandoculis. Après, si on accepte que foae = grandoculis, alors furcifer ¹ foae. Mais comme on ne peux prouver que grandoculis = foae, alors furcifer ¹ foae n’est pas prouvé. Et si ce n’est pas prouvé, la seule certitude qui nous reste est que le « Black furcifer » = Cyathopharynx grandoculis.

Pour terminer et pour se détendre…, on est en droit de se demander pourquoi on a transformé foae en foai. Ad. Konings nous explique qu’en réalité, ce nom vient du nom de Monsieur FOA, qui est la personne qui a récolté les spécimens pour le compte de VAILLANT. Le nom de l’espèce a donc été mis a masculin.

Courant juin 99, Heinz Büscher, ne cherchant pas à mettre en doute la légitimité de l’espèce m’informe des faits suivants:

– Le genre Cyathopharynx est masculin
– L’origine du nom de l’espèce est foa, un nom de famille
– Le nom donné par Vaillant dans sa description d’origine est foae.

Il en tire donc les conclusions suivantes:

1/ le génitif masculin ,d’un nom de famille finissant par ‘a’, se terminant par -ae est autorisé (Article 31 du code).
2/ foae est « l’orthographe correcte d’origine » donné par Vaillant dans sa description (Article 32).
3/ Le changement dans une publication ultérieure d’un nom d’une espèce par un même auteur (foae en foai) est irrecevable.
4/ Aussi, il n’y a pas de raison de changer le nom foae en foai.

Büscher considère donc que le bon taxon est Cyathopharynx foae.

Branle bas de combat. Je contacte tous les spécialistes à ce sujet, votre serviteur n’ayant pas les bases taxonomiques pour se faire une bonne idée de la question. Pé Point est le premier à se manifester. Il pense que l’on doit mettre foae si la personne est une femme et foai si c’est un homme. Exemple: « i » (moorii) pour un homme et « ae » (trewavasae) pour la femme. Or, comme selon Vaillant, Foa est un homme, on doit donc utiliser foai. J’explique alors que de toute manière, si on respecte la règle d’antériorité, foae est prioritaire sur foai. Philippe me répond que la règle d’antériorité ne s’applique pas dans ce cas puisqu’il n’y a pas changement de nom d’espèce, seulement rectification d’une erreur d’accord.

Ad. Konings revient alors sur les conclusions de Heinz. Sur la conclusion N°1, il se demande si cette remarque était valable en 1901 (année du changement entre foae et foai) puisque les règles taxonomiques datent de 1906 et qu’il n’est même pas certain qu’à cette date, ce point ait été soulevé.

Sur le point N°4, Ad. se dit que si il était permis de terminer le nom d’espèce en question par « ae », pourquoi le même auteur en a t-il changé le taxon ?
Tout ça à cause des escargots !

La parole fut donc donnée à Martin Geerts, spécialiste en la matière. Celui-ci pense qu’après réflexion, Heinz Büscher a certainement raison et que notre poisson doit s’appeler Cyathopharynx foae.
Explications:

Martin avoue que lorsqu’il a trouvé que foae étant un synonyme antérieur à grandoculis, c’était dans un livre écrit par Vaillant dans lequel il décrivait les travaux réalisés par Edouard FOA. A cette époque, six espèces différentes d’escargots ont été nommées en utilisant la base du nom de FOA et ces six espèces ont été décrites sous le nom de foai. Il est ainsi probable que VAILLANT ait renommé notre poisson foai par respect aux six autres espèces d’escargots déjà décrites. Martin donne donc raison à Heinz, mais pas en vertu de l’article 31 du code, mais plus véritablement en vertu de l’article 33 (d):

« L’utilisation de la terminaison -i dans un nom d’espèce tiré d’un nom personnel ayant pour orthographe d’origine la terminaison -ii, ou vice versa est incorrecte, même si le changement d’orthographe est délibéré. La même règle s’applique à -ae et -iae, -orum et -iorum, et -arum et -iarum. »

Martin précise que ce changement d’orthographe serait valide si VAILLANT avait décidé de latiniser le nom de FOA. Mais comme on n’en saura jamais rien, il est préférable de garder le taxon foae. Martin nous explique enfin que si ce débat avait eu lieu l’année dernière, il aurait œuvré pour maintenir foae plutôt que foai. Là dessus, on pense bien que notre Pé Point agite son drapeau de grandoculis !!!

Paratilapia grandoculis (d’après Boulenger).

Pour faire simple, voici en quelques lignes le résumé de cette sombre histoire.

AnnéeCyathopharynx furciferCyathopharynx foae
 Faits marquantsTaxonFaits marquantsTaxon
1898Première description par Boulenger à partir d’exemplaires collectés à Mpulungu Paratilapia furciferParatilapia furcifer  
été 1899 Paratilapia furciferPremière description par Vaillant à partir d’exemplaires collectés par Edouard Foa.Ectodus foae
décembre 1899 Paratilapia furciferDescription de Tilapia grandoculis par Boulenger à partir d’exemplaires collectés à Moliro (soumission de la description faite avant celle de Vaillant).Tilapia grandoculis
1901 Paratilapia furciferVaillant change le nom de foae en foai (les escargots…).Ectodus foai
??? Paratilapia furciferBoulenger estime que Ectodus foae est synonyme de Tilapia grandoculis (cela reste à confirmer), mais comme c’est la date de publication qui compte et non la date de soumission, l’Ectodus foae garde la priorité.Ectodus foai
1920Description du genre Cyathopharynx par Regan avec pour espèce type C. grandoculis (erreur de Regan car si foai = grandoculis, alors l’espèce type devrait pêtre C. foai (règle d’antériorité)Cyathopharynx furciferDescription du genre Cyathopharynx par Regan avec pour espèce type C. grandoculis (erreur de Regan car si foai = grandoculis, alors l’espèce type devrait pêtre C. foai (règle d’antériorité)Cyathopharynx foai
1946Poll estime que Tilapia grandoculis (donc le foai) est synonyme de Cyathopharynx furciferCyathopharynx furciferPoll estime que Tilapia grandoculis (donc le foai) est synonyme de Cyathopharynx furciferCyathopharynx foai
1991-1996Ad Konings et Herrmann remarquent qu’à différents endroits, on rencontre deux races de Cyathopharynx, donc deux espèces distinctesCyathopharynx furciferAd Konings et Herrmann remarquent qu’à différents endroits, on rencontre deux races de Cyathopharynx, donc deux espèces distinctesCyathopharynx furcifer
1998 Cyathopharynx furciferAd. Konings et Martin Geerts estiment que le Black furcifer correspond à la description de l’Ectodus foaiCyathopharynx sp. « black furcifer »
juin 1999 Cyathopharynx furciferHeinz Büscher fait remarquer que foae reste valide et prioritaire face à foaiCyathopharynx foae

Comment distinguer ces deux espèces ?

Ce point est des plus intéressants car comme jusqu’à présent tous les Cyathopharynx ont été importés et commercialisés sous le nom de furcifer, les amateurs que nous sommes ont besoin de critères morphologiques et chromatiques pour identifier leurs poissons.

Pour en savoir plus, il est nécessaire de considérer que la distinction de ces espèces diffère selon que l’on est au Sud ou au Nord du lac.

Commençons par le Sud, ou plus précisément entre Moliro et Sibwesa en Tanzanie en passant par la Zambie.

Dans toute cette vaste zone, on remarque qu’il n’existe pas (ou très peu) de variation chromatique chez Cyathopharynx furcifer. Le corps est bleuté et le dessus de la tête est orné d’un tâche dorée (d’où le nom de « golden head »). Les nageoires dorsales et anales sont claires. Contrairement au furcifer, le foae présente de multiples formes dans cette même région. Le corps est certes plus foncé, mais présente en plus des marbrures bleues ou vertes selon la localité. Les nageoires ventrales et anale sont beaucoup plus sombres. Il ne possède pas de tâche sur le dessus de la tête, mais parfois des taches jaunes sur les joues (au Sud-Est du lac). Le corps est un peu plus haut que chez le furcifer et sa nageoire dorsale plus étendue dans sa partie antérieure. Les femelles sont difficilement identifiables. Cependant, lorsqu’on les compare dans leur milieu naturel, on s’aperçoit que les femelles foae ont des nageoires un peu plus foncées et un corps plus haut. Les taches noires sur les flancs sont aussi moins marquées chez la femelle foae (info Ad. Konings & Toby Veall).

Cyathopharynx foae « Moliro » Photo Ad. Konings

Cyathopharynx foae « Kigoma » Photo T.J. Koziol

Cyathopharynx foae « Magara » Photo Ad. Konings

 

Dans le Nord du lac, la situation reste très confuse. En effet, H. J. Herrmann a découvert en 1994 deux races distinctes à Resha au Burundi. La première était sombre et pourrait correspondre au foae et la seconde avec une nageoire anale plus claire (furcifer ?). Cependant cette deuxième race présentait aussi des marbrures sur la dorsale, ce qui la rapprocherait du foae. Ces deux espèces cohabitaient sur le fond sablonneux.

Cyathopharynx cf. furcifer « Ruziba » Photo H. Joachim Herrmann

A Ruziba, au Nord de Resha, une race exportée sous le nom de « Ruziba furcifer » est différente de celle du foae (?) de Rutunga. Elle ne possède cependant pas de tache dorée sur la tête. Devant ces incertitudes, Ad. Konings nomme cette variété Cyathopharynx cf. furcifer « Ruziba ». Mireille Schreyen (Fishes of Burundi) me fait alors la remarque suivante:

 » A propos de variation de comportement dans des espèces cohabitantes, nous avons au Burundi comme tu le sais le Cyathopharynx furcifer (ta photo) vivant plus particulièrement dans les endroits roche-sable, nid en cuvette de préférence sur les rochers, et le Cyathopharynx furcifer « Ruziba »,plus abondant dans les zones marécageuses très troubles avec plantes aquatiques (repro non observée).

 

 

Néanmoins les deux espèces cohabitent il n’est pas rare de capturer le furcifer dans les zones marécageuses, et parfois,mais plus rarement, le « Ruziba » s’aventure dans les eaux claires . Détail amusant démontrant ici aussi des différences de comportement: quand tu cherches à pêcher un furcifer dans un bac, immédiatement il se planque dans un coin ou sous un rocher, et ne bouge plus (j’ai ainsi pu en attraper à main nue dans le lac) par contre le « Ruziba » dans des conditions identiques, lorsqu’il est poursuivi, loin de se cacher, il fuit plutôt comme les Ophthalmotilapia. »

A Kigoma, au Nord de la Tanzanie, on trouve un autre Cyathopharynx qui possède cette tache jaune sur la tête, à l’image des « Golden head » du Sud du lac. Cependant, ses nageoires sont sombres comme celles du foae.

Ainsi, comme vous le voyez, la situation dans le Nord du lac est loin d’être claire. De plus, le Nord du Congo n’a pas encore été totalement exploré et nous ne sommes pas à l’abri de nouvelles surprises. Quand on regarde la situation au Nord du lac, on pourrait même s’attendre à ce qu’on découvre un jour une troisième espèce du genre. Je ne vous raconte pas la panique. A chaque jour suffit sa peine !!!

Cyathopharynx furcifer « Moliro »

 

 

 

Translate »