Cyphotilapia frontosa

“Mes Cyphos auraient eu dix ans”
Par Jean-Paul Cortes – AFC 0229.83
Paru dans la RFC n° 116 – février 1992
> Voir des photos de Cyphotilapia spp. <
Introduction:
Mon idée originale était d’écrire cet article avec un autre titre “mes Cyphos ont dix ans” ; malheureusement, les aléas de l’aquariophilie et les circonstances ont fait que j’ai dû en changer la conjugaison.Le Cyphotilapia est connu de tous les cichlidophiles ou presque, et pourtant dans notre littérature, sauf erreur ou omission de ma part, je n’ai pu retrouver de textes dans les revues autres qu’un numéro d’Aquarama écrit par Walter Deproost en 1980 (N°51) et 3 articles dans le N° 14 de notre revue RFC débutante en Décembre 1981 (NDLR : On en parle aussi RFC N°66 et N°104).Pourtant le Cyphotilapia est un seigneur qui, malgré les années, reste un poisson du lac Tanganyika très populaire, bien que son prix soit resté relativement élevé. |
Description:
Le genre Cyphotilapia a été décrit pour la première fois par Regan en 1920. A l’origine, il y avait placé aussi une autre espèce du bassin du Congo : C. demeusii qui fut par la suite reclassé dans le genre “fourre tout’ Haplochromis par Thys Van Den Audenaerde en 1964. Boulenger avait décrit l’espèce dans le genre Paratilapia (1906).Deux variétés sont connues. C’est l’ancien Cyphotilapia à sept barres.La deuxième variété, le Cyphotilapia à cinq barres, ex six barres, a été décrite par Max POLL en 1956 et localisée au nord du lac. La troisième variété géographique est localisée au sud, en Zambie. Plus trapue que la 2ème variété, elle serait aussi plus colorée selon certains. Pour un poids équivalent celui du sud est plus petit, plus rond, plus large. À côté le 5 barres parait presque élancé malgré sa bosse. À noter que dans la nature, la taille des Cyphos n’atteindrait pas aussi couramment la taille de nos sujets d’aquarium. La concurrence y est plus rude et le milieu non protégé. L’espérance de vie y est plus courte surtout chez les jeunes par la prédation. Ils frayeraient aussi plus tôt. Mais, qu’il soit du nord ou du sud, à 5 barres ou à 6 barres, le Cyphotilapia frappe d’abord par sa bosse. C’est d’ailleurs à celle-ci que notre Cyphotilapia doit son nom. La nageoire dorsale est un mélange de blanc, de gris, de bleu, à son bord supérieur, selon la lumière. Les pectorales sont longues et translucides. Les ventrales sont bleu pâle et très longues chez le sujet âgé, pouvant même rejoindre la caudale qui est légèrement fendue en son milieu. L’anale est elle aussi bleu-ciel. L’oeil est grand par rapport à la tête, sombre mais délicatement ourlé d’or, la pupille reste intelligente. Il semble que cet oeil acquiert plus de débattement avec l’âge, peut-être pour garder un certain degré de vision vers le haut, malgré la bosse. Quant à la bouche, elle est énorme et peut engloutir l’équivalent d’une balle de ping-pong. La mâchoire inférieure peut avancer, ce qui permet à ce poisson d’aspirer la nourriture, même située à quelque distance, en même temps qu’un énorme volume d’eau, sans avoir à se déplacer. Il ouvre la bouche, aspirant l’eau et tout ce qui s’y trouve, fut-ce une artémia ou un alevin.
Du fait de la profondeur où ils vivent, les C. frontosa doivent subir une lente décompression avant d’être remontés à la surface. Ceci justifie toujours le prix élevé des spécimens sauvages. |
https://www.ciklid.se/ncs_visa.asp?NR=765
Nutrition:
Cyphotilapia frontosa accepte toutes les nourritures carnées avec une prédilection pour les tubifex. C’est un carnivore comme le prouve la longueur, de son intestin, 25cm pour un sujet de 30cm.Un examen stomacal par Poll a trouvé des débris de lamellibranches de mollusques et de poisson. Pour ma part je leur donne des crevettes, des moules, des coques, du calmar, du poisson C’est bien la preuve de leur répugnance à quitter le fond. La quantité de nourriture à distribuer varie : Pendant de longues périodes, notamment l’été, les Cyphotilapia boudent la nourriture ; ils ne mangent que du bout des lèvres, ils “pignochent”, sauf si des tubifex sont inscrits au menu. Les femelles en incubation ne cessent pas de s’alimenter. Elles soufflent sur des petites particules de nourriture pour les faire décoller du fond puis les ingèrent, précautionneusement, par petites aspirations successives entre leurs lèvres serrées. |
Comportement:
Le comportement intra et interspécifique des frontosa est on ne peut plus paisible. Il pourra même se laisser importuner par plus petit que lui d’où les crises de démence brutale déjà évoquées et qui mettront le décor en l’air. Dans le lac, vu l’immensité de l’aquarium, il n’y a pas de combats entre poissons. Dans un aquarium où l’espace est fortement limité et où la promiscuité est de règle, les affrontements sont fréquents mais n’ont rien à voir avec ce qui peut arriver chez les les “Cichlasoma“. Les poissons se présentent le plus souvent face à face, s’observent, ouvrent la bouche la plus grande possible, parfois se touchent les lèvres ; ils s’observent de nouveau puis recommencent. Il s’agit plus d’un rituel de combat. Je n’ai assisté qu’une fois à un vrai combat, avec prise de gueule et coups de queue, et seulement quelques secondes, entre deux grands mâles.
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Reproduction:
Parfois une femelle s’approche d’un mâle et lui donne un “baiser” sur le flanc. Lentement. délicatement, il ouvre la bouche et touche la femelle des lèvres. Il la pousse, mais à peine. Il l’invite ! Mais le mâle propose, la femelle dispose. Mais quand, oh bonheur suprême, la femelle est disposée elle suit le mâle dans son antre pour y subir les derniers outrages. Elle présente alors un oviducte conique, tronqué, bien développé, en rapport avec sa taille. Elle tourne seule dans le coin choisi, semblant ne pas s’occuper du mâle. Elle lâche ses oeufs jaune-blanc, gros (4 mm), ovoïdes, les prenant en bouche l’un après l’autre en reculant sur elle même en faisant le poirier. Le mâle se tient à quelque distance, semblant attendre. Quelques rares fois la femelle lui cède la place où il fait un petit tour et puis s’en va. Chez moi mes Cyphos ont toujours choisi le fond d’un gros pot de fleurs pour frayer. Ils n’ont jamais pondu à découvert.
Voici quelques chiffres que j’ai pu noter:
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22/5/84 au 28/6- 25 petits au 36ème jour d’incubation 9/8 au 10/9 20 petits au 31ème jour
12/10 au 24/11 35 petits au 43ème jour
20/l/85 elle n’a pas gardé les œufs (planaires dans le bac)
25/5 au 27/6 13 petits au 32ème jour.
Noter l’écart avec la ponte précédente réussie
19/7 au 28/8 14 petits au 33ème jour
7/10 au 4/11 25 petits au 28 ème jour.
De ceci ressort que l’incubation dure 35 jours en moyenne. Après, j’ai pris l’habitude de faire cracher les femelles au 30ème jour, femelle qui mesurait 30cm au 8/6/86. Voici ce que j’ai obtenu: Ponte le 2/12/86, je fais cracher par erreur le 19ème jour 50 petits trop tôt qui meurent presque tous faute d’avoir résorbé leur vésicule vitelline.
Les derniers la résorbent au 29ème jour à 27°C.
Ponte le 5/2/87; femelle crache 80 petits le 6/3
Ponte le 14/4 ; 80 petits
Ponte le 21/9 ; 40 petits
Ponte le 14/l/88 ; 37 petits
Les alevins sont donc plus nombreux, avec deux pontes record à 80, quand on prend la précaution de faite cracher la femelle.
D’emblée les alevins acceptent toutes sortes de nourriture et même si on n’a pas de nauplii d’artémia à sa disposition ils grandissent vite pourvu qu’on change leur eau souvent.
Il semble également qu’ils bénéficient bien d’un apport d’hydrogénocarbonate de Magnésium, Mg(HCO3)2, qui offre également l’avantage de tamponner l’eau.
Une autre anecdote: Dès qu’on a fait cracher la femelle dans un seau, si on présente un récipient sombre aux petits, ou simplement la main fermée en cornet, ils s’empressent d’y pénétrer.
Conclusion :
J’ai intitulé cet article ainsi parce que j’espérais que mes Cyphotilapia frontosa atteindraient l’âge canonique de dix ans, malheureusement, j’ai dû déménager et mes poissons n’ont pas aimé. Ma plus vieille femelle est morte en Juin 1990 alors que je l’avais acquise en Septembre 1981. Néanmoins, il me reste un mâle et une femelle de sa descendance plus quelques autres issus d’autres couples. NDLR https://www.biolib.cz/cz/image/id7428/ Par rapport à la partie osseuse de la bosse, il est intéressant de noter que tous les gros cichlidés bossus possèdent cette apophyse “détournée” de sa fonction première, il n’en faut pour preuve que l’ossature du crâne de poissons non bossus qui possèdent cette excroissance. |
https://www.biolib.cz/cz/gallery/dir649/
NDLR:Nous ajouterons que depuis l’écriture de ce texte il y a eu du mouvement dans le genre Cyphotilapia, une espèce de plus a été décrite, c’est Cyphotilapia gibberosa (signalons que le “blue Mpimbwe”, n’a jamais été capturé à Mpimbwe). Le Cyphotilapia de cet article est donc le sp. “nord”. En n’omettant pas que Cyphotilapia a été décrit à partir de spécimens capturés à Kigoma (le 6 barres + 1 sur la tête), et qu’il faut normalement considérer que les autres ne sont pas Cyphotilapia frontosa. Deux autres sp. reconnues qui sont celles de la côte centrale tanzanienne (Karago à Myako) et de la zone nord du lac (zones de Uvira dans le nord Congo et Magara/Nyanza-Lac au Burundi), qui sont donc différentes des deux espèces du genre, déjà décrites.Voici une carte de répartition de cette espèce et différentes sp. aff. Cyphotilapia gibberosa.
Autres cartes de répartitions :
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Remerciements :
à Jean Paul Cortès pour son autorisation à reproduire son article.Bibliographie : L’An Cichlidé n° 4 -Distribution, écologie et collecte du genre Cyphotilapia Regan, 1920 (p. 53 à 66)- par Éric Genevelle
Documents : Timbres de Jean Marie Londiveau.
Merci à Hugo Loisel pour ses photos.