Cyprichromis leptosoma « Utinta Fluorescent » de Cap Mpimbwe
Cyprichromis leptosoma l’autre Voleur de Couleurs
Article issu de « Tanganyika cichlids » de Eric Genevelle.
Mâle en parade
Jean-Yves Dubuisson (avril 1999)
Présenté et exporté depuis peu par African Diving Ltd. et disponible en France exclusivement du côté du Val de Marne (Abysse), le Cyprichromis leptosoma « Utinta Fluorescent » du Cap Mpimbwe que l’on nommera dans la suite de l’article Utinta fluo, est un poisson d’une rare beauté et qui comme tous les Cyprichromis et apparentés n’est pas difficile à maintenir et à reproduire si toutes fois on tient bien compte de quelques recommandations.
L’AUTRE VOLEUR DE COULEURS
Il ne faut pas se méprendre avec la photo fournie par African Diving (AD) (Voir ci-dessus à gauche) qui montre un spécimen exceptionnel (avec également vraisemblablement un renforcement artificiel des bleus). Les individus mâles disponibles sont nettement moins flashants mais n’en restent pas moins très beaux. On peut de ce fait être amené à se demander si l’Utinta Fluo d’AD ne correspondrait pas à un type rare de coloration concernant de rares individus de la forme chromatique Utinta qu’Éric présente dans son poster sur les Cyprichromis.
Les femelles comme toutes les femelles Cyprichromis qui se respectent sont plus ternes, mais on peut repérer des reflets jaunâtres ainsi qu’un léger liséré bleu sur les nageoires dorsales et anales et quelques reflets bleus sur la gueule. A la différence des Cyprichromis sp. « leptosoma Jumbo » qui sont très polychromes et à l’instar de la plupart des formes chromatiques du C. leptosoma, les mâles Utinta Fluo présentent tous globalement la même coloration. Les variations concernent essentiellement l’étendue de la couleur bleue « fluorescente » qui commence au niveau de la bouche, se développe fortement sur le front et selon les individus (et leur hiérarchie dans le banc) envahit plus ou moins complètement le dos et les flancs. La nageoire anale est ordinairement bleue/jaune avec un liseré bleu plus ou moins marqué mais je n’ai observé aucun individu avec une nageoire entièrement bleue comme sur la photo d’AD.
La nageoire dorsale est de dominance bleu électrique avec des nuances jaunâtres plus ou moins développées et un ocelle jaune orangé à l’extrémité postérieure, comme pour la variété chromatique Malasa ou le Mpulungu.
Cet ocelle est uniformément coloré ou peut présenter à sa base une tache noire sur certains individus. La caudale est jaune à orangé, avec un liseré marginal bleu parfois très prononcé, et la coloration jaune orangé se poursuit plus ou moins selon les individus sur l’appendice caudal. En état d’excitation et sous un éclairage adéquat (Triton), les mâles dominants présentent des couleurs très vives, voire fluorescentes.
Les mâles dominées si ils ne sont pas trop martyrisés par les dominants conservent généralement de jolies couleurs et à défaut du bleu sur le corps, une caudale toujours bien jaune. Comme pour tous les Cyprichromis, les pelviennes des mâles ont leur extrémité fortement colorées, ici le plus souvent de blanc jaunâtre, qui forme une palette. On notera également que pendant la parade, les mâles dominants présentent sur les flancs 3 larges barres verticales foncées auxquelles on peut adjoindre une petite derrière l’ouïe et une autre à l’avant de l’appendice caudale, rayures que renforce l’éclaircissement du ventre lors de l’excitation et qui sont localisées comme celles des Cyprichromis zonatus et Cyprichromis sp. Kibishi. Les barres peuvent être également observées sur les flancs des femelles.
Mâle juvénile avec ocelle jaune et noir (détail dans médaillon)
PLUS ON EST DE FOUS, PLUS ON RIGOLE
Comme tous Cyprichromis, l’Utinta Fluo (qui atteint une taille maximale de 8-10 cm) se maintient en banc important dans un bac qui ne devrait pas faire moins de 300 litres (avec au moins 150 cm de vitre frontale). J’en possède actuellement dans un 240 litres et c’est juste limite. Un banc de 14-15 est un minimum à partir d’un 240 litres dans le but de tempérer l’agressivité du ou des mâles dominants (dans ce type de volume, il n’y en aura généralement qu’un). Un volume plus important est plus approprié aussi bien pour des bancs plus grands que plus petits car plusieurs mâles pourront défendre chacun son territoire. En effet, en petit volume, un petit banc (inférieur à 10 individus) se maintient assez difficilement car le mâle dominant focalisera son agressivité sur peu d’individus et vaut mieux plusieurs subissant quelques attaques que peu constamment martyrisés (ce qui est vrai pour tous Cichlidés vivant en groupe hiérarchisé comme pour les Tropheus).
Il serait faux de penser que les Cyprichromis sont des poissons de banc paisibles et pacifiques, si on leur en donne l’espace (ou plutôt le volume), les mâles sont assez agressifs et les Utinta Fluo ne me sont pas apparus moins querelleurs que des C. sp. jumbo. Le mâle dominant du 240 litres défend de manière virulente son territoire aussi bien contre ses congénères que contre d’autres espèces qui dans le bac en question sont des Altolamprologus calvus, Eretmodus cyanosticus et Neolamprologus caudopunctatus. Si vous recherchez du Cyprichromis et apparentés plus calmes, choisissez plutôt du Paracyprichromis nigripinnis (Blue Neon). En fait les mâles Blue Neon se cantonnent généralement à leur ardoise verticale tandis qu’un mâle C. leptosoma dominant cherchera à utiliser tout le volume d’eau libre disponible.
J’ai fait cohabiter provisoirement dans le 240 litres (NDLR: Un minimum de 400 litre et de 150 cm de façade est maintenant recommandé) un petit banc d’adultes d’Utinta Fluo avec des subadultes (6-8 cm) Jumbo Kitumba. Cette configuration a fonctionné peu de temps, de violents et fréquents combats entre le dominant Jumbo et le dominant Utinta Fluo risquant de blesser sérieusement les protagonistes (et ce n’était pas toujours le Jumbo qui avait le dessus). L’équilibre fut retrouvé assez vite après le retrait des Jumbo.
Cyprichromis leptosoma « Utinta » à Slaf Rock.
Si les poissons se sentent à l’aise et sont bien nourris (paillettes de qualité et artémias vivantes), la hiérarchie se met en place très rapidement. Dans le 240 litres, un mâle (parmi les plus gros) s’est approprié quasiment toute la zone d’eau libre en moins de trois jours, repoussant les autres mâles et les femelles dans les « coins », la présence de nombreuses cavernes permettant aux mâles les moins tolérés d’échapper un peu aux attaques. L’idéal est d’avoir deux à trois fois plus de femelles que de mâles mais les individus disponibles qui sont tous sauvages ne sont importés et vendus qu’en couple. La conséquence est que vous êtes obligé de charger le bac en mâles si vous voulez un joli banc de femelles, ce qui n’atténue pas les risques de conflits, d’où la non recommandation d’un petit groupe dans un petit volume. En dehors des heures de nourrissage où tous les individus se mélangent, vous obtenez un mâle dominant isolé au milieu du bac, paradant constamment à l’approche d’une femelle, quelques mâles cachés dans des cavernes, et le banc de femelles et quelques mâles (les mieux tolérés par le dominant) dans un « coin ». Les femelles se regroupent toujours au même endroit (tout au moins dans l’aquarium) et se déplacent peu, adoptant la position typique, la tête légèrement en bas, l’inclinaison s’accentuant a proximité d’une ardoise, les individus se maintenant parallèles à celle-ci.
banc mixte | banc de femelles en position typique de « repos », ou de soumission
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UN PEU D’AMOUR DANS UN MONDE DE BRUTES
Si les poissons sont bien nourris, apprécient les conditions physico-chimiques de l’eau et si le ou les mâles dominants se sentent « chez eux », la reproduction est très facile, voire très rapide. Dans ma configuration, il ne s’est écoulé que quatre jours après le retrait des Jumbo pour que la première ponte (et la première incubation) se réalisât. Le mâle dominant parade dès qu’une femelle pénètre dans son territoire, et la chasse violemment si elle n’est pas prête.
Néanmoins, le plus souvent, il fait une incursion dans le « coin » des femelles, paradant devant celles-ci dans le but d’en attirer une ou coursant un pauvre mâle dominé qui avait le malheur d’être dans les parages. Dans le premier cas, la femelle intéressée quitte le banc et suit le mâle dans son territoire. La parade s’accentue et est assez spectaculaire. Le mâle déploie ses nageoires et ses couleurs et fait vibrer ses pelviennes. Au summum de l’excitation, il se met quasiment à l’horizontal et présente un de ses flanc à la femelle, relevant et faisant vibrer la pelvienne correspondante vers celle-ci. La femelle est attirée par l’extrémité colorée (la palette) de la pelvienne qu’elle cherche à gober. Les extrémités colorées des pelviennes pourraient avoir la fonction homologue des palettes des pelviennes des Ophthalmotilapia et Cyathopharynx.
Si le couple conclut les préliminaires, la ponte a lieu selon le processus normalement observable chez les Cyprichromis. Dans la configuration du 240 litres, l’unique mâle dominant est en permanence en parade, ce qui peut expliquer que son territoire est très étendu et qu’il sollicite constamment ses comparses qui ont donc peu d’espace pour évoluer. Il est amusant de constater que le mâle peut enclencher face à un autre mâle une parade semblable à celle qu’il réalise devant une femelle.
L’attirance parfois observé du second mâle par la pelvienne qui vibre renforcerait l’hypothèse de la fonction de leurre alimentaire de la palette (qui explique le caractère analogue et non homologue de ces palettes avec les ocelles de nageoire anale des Haplochrominiens qui elles, mimeraient plutôt des oeufs). La parade devant un autre mâle se conclut toujours par une attaque violente comme pour indiquer au concurrent à la fois qui est le plus beau et qui est le chef des environs. Les femelles en incubation rejoignent le plus souvent le banc des femelles, voire se cache dans une caverne si elles sont trop sollicitées.
Je n’ai pas encore assisté, au moment de la rédaction de l’article, à un re-lâchage des alevins et de ce fait je n’ai pas encore d’expériences sur leur élevage. Mais on peut supposer qu’il doit suivre ce qui est habituellement constaté et préconisé au sein du genre (voir les articles sur le site).
J’encourage fortement le maintien et la reproduction de ces poissons qui sont magnifiques et maintenant disponibles en France. En particulier, il serait très intéressant de développer les élevages amateurs de cette variété afin d’une part de fournir à la communauté Tanganyikophile des individus financièrement plus accessibles* et d’autre part permettre la constitution de bancs à sex-ratio plus intéressant.
Cela ne pourrait que favoriser la standardisation de ce joli Cyprichromis comme cela a eu lieu en son temps avec le Mpulungu. Une expérience dans un bac plus grand pourrait également permettre de vérifier si l’agressivité relativement élevée des mâles dominants de cette race est propre à cette dernière ou simplement la conséquence d’une certaine « promiscuité » due à l’aquarium. A ce titre, je conseillerai fortement d’avoir au minimum 150 cm de longueur frontale.
*Note EG: Comptez environ 200 FF par spécimen sauvage.
Article issu de « Tanganyika cichlids » de Eric Genevelle.