Limnocnida tanganyicæ
Limnocnida tanganyicæ la méduse du lac Tanganyika.
Une présentation un peu particulière ici, en effet afin de partager une certaine « texture » des documents anciens,
le parti pris a été de vous offrir la vue (par documents photographiques) du fascicule d’origine, édité en 1908.
DU TANGANYIKA ET DU VICTORIA-NYANZA
Par Mr. Charles Gravier
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Des résultats scientifiques des voyages en Afrique
D’ÉDOUARD FOA
Il se présente comme une immense crevasse encadrée de montagnes dont les sommets, d’où descendent de nombreux cours d’eau rapides et cascades, atteignent de 1 000 à 2 000 mètres, et qui n’a pas moins de 630 km de longueur sur une largeur qui varie de 50 à 90 kilomètres; sa superficie est de 31 450 kilomètres carrés; son altitude de plus de 800 mètres; sa profondeur de 600 mètres environ (ndlr: notons qu’à l’époque les écho-sondages n’avaient pas encore lieux, qui révélèrent les 1470 mètres de la plus profonde fosse nommée d’abord « Alexandre Delcommune, actuelle fosse « de Zongwe »)
Faute de livres, Böhm ne pu fixer la position systématique de cette Méduse que, à cause surtout de l’isolement du Tanganyika, il présumait être nouvelle; il proposa de lui donner le nom spécifique de Tanganyikae, ne voulant rien préjuger quand à la détermination générique.
Les mêmes animaux furent revus par H. von Wissman qui, en traversant le lac, de 13 avril1887, fut tout surpris de voir son bateau entouré d’« Orties de mer » pendant une demie-heure.
(1) E. von Martens und R. Böhm, Ueber eine Qualle im Tanganyika See mit Bemerkungen, Stiz. naturf. Freunde zu Berlin, 1883, p. 179-200 — bR. Böhm, Von Zanzibar zum Tanganyika, Briefe aus Ostafrica, Leipzig, 1880.
L’intérêt soulevé en Angleterre par la méduse du Tanganyika fut très vif :
On admit que, tandis que les lacs Nyassa et Shirwa n’avaient que des formes d’eau douce, le Tanganyika possédait outre celles-ci, toute une série d’animaux d’un type nettement marin et ancien : Gastéropodes, Crabes, Crevettes, etc.
Il fallait supposer que le Tanganyika avait été relié autrefois à la mer, mais où et à quelle époque ?
(1)R.T. Günther, Preliminary Account of the fresh-water Meduse of lake Tanganyika, Ann. and Mag. of Nat. Hist., 6th Ser., t. XI, 1893, p. 269-275, pl. XIII-XIV. — A further Contribution to the anatomy of Limnocnida Tanganyicæ, Quart. Journ. of micr. Science, 3rd Ser., t. XXXVI, 1894, p. 271-293, pl. XVIII-XIX. (2) Ed. Ray Lankester, on Limnocodium sowerbii, a new Trachomedusa inhabiting fresh Water, Quart. Journ. of micr. Science, vol. XX, 1880, p. 351-371, pl. XX-XXI. | (3)Une autre espèce du même genre (L. kawaii) a été trouvée dans le Yang-tes-Kiang. (A. Oka, Limnocodium im Jantsekiang, zool. Anzeiger, Bd. XXXII, 1908, p. 669) (4)J.E.S Moore, the Tanganyika Problem, An Account of the researches undertaken concerning the existence of marine Animals in central Africa (avec des cartes et de nombreuses illustrations), 372 pages, London, Hurst and Blacket, 1903. |
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Avec des variantes plus ou moins considérables, en relation avec divers facteurs et notamment avec les conditions climatériques,tous ces lacs paraissent n’être habités que par des espèces purement d’eau douce. Il n’en serait pas de même du Tanganyika : outre celles-ci, la grande nappe d’eau potable posséderait un certains nombre de formes qui lui sont propres et qui, tout en vivant dans un milieu non salé, n’en auraient pas moins des caractères marins incontestables ; Moore les désigne collectivement sous le nom de Halolimnic group, pour rappeler l’antagonisme entre leur habitat et leurs affinités.
Parmi ces animaux, l’auteur étudia plus particulièrement les Gastéropodes. Il compara minutieusement les coquilles du Tanganyika, différentes de toutes les formes actuellement vivantes, à celle du British Museum for natural History, et il crut constater, par exemple, que le Parameliana damoni (Tanganyika) ne correspond exactement peut être distingué du Purpurina bellona, fossile marin du Jurassique ; que, de même, le Nassopsis nassa (Tanganyika) correspond exactement au Purpurina inflata (Jurassique marin), etc.
Petite vidéo de Pam Chin.
J.E.S Moore faisait remarquer que, si une espèce unique de Mollusque présentait les même caractères qu’une forme appartenant à une époque ancienne, le fait n’aurait que la valeur d’une coïncidence curieuse; mais qu’il est, pour le moins, improbable que la même similitude se répète fortuitement pour nombre de types sans rapport entre eux.
On sait que, dans certaines couches lacustres du Supracrétacé du sud et l’Europe et du nord de l’Amérique, on trouve des coquilles qui ne sont pas semblables à celles que l’on rencontre dans les eaux douces actuelles. White en Amérique, Tausch en Europe, ont fait observer que, dans ces lits, se trouve le genre Pyrgulifera dont certaines espèces ressemblent fort aux Parameliana du Tanganyika. Se fondant sur ce seul cas de similitude, Gregory a voulu faire dériver le groupe halolimnique de la faune lacustre du Crétacé.
Cette généralisation hâtive et téméraire se heurte d’ailleurs aux difficultés que soulève la coexistence de ces Gastéropodes, de la Limnocnida tanganyicæ et d’un bryozoaire gymnolème que tous ses caractères rapproche d’un genre marin Arachnidium.
De considérations tirées des données géologiques fourni en grande partie par l’expédition de 1899 et aussi de la faune ichtyologique du Tanganyika et du Congo, J.E.S Moore conclu que la région correspondant à ce lac et probablement à une portion du bassin du Congo était couvertes autrefois par une mer qui se ferma peu à peu et dont les eaux se sont adoucies dans le cours des temps; les animaux du Halolimnic Group ne seraient que les derniers survivants de la faune de cette mer ancienne, auxquels se seraient
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mélangés les types d’eau douce, à mesure que la salure diminuait et que les conditions actuelles se réalisaient(1).
III
Le 16 septembre 1903, un distingué voyageur naturaliste du Muséum, M. Ch. Alluaud, a recueilli dans la baie de Kavirondo, sur la côte orientale du Victoria-Nyanza (situé à 1200 mètres d’altitude et sans communication avec le Tanganyika), une Méduse qui doit être identifiée à la Limnocnida tanganyicæ.
au Muséum d’Histoire Naturelle, il y a deux femelles et sept mâles, tous à l’état de maturité sexuelle. Aucun ne porte de bourgeon médusoïdes sur le manubrium. L’évolution de Cœlentéré parait être la même au Victoria-Nyanza qu’au Tanganyika.
On sait d’après les observations de Moore, que, à la fin de mars, terme de la saison humide, les Méduses se multiplient par bourgeonnement sur le manubrium jusqu’en juin et même en juillet ; alors se développent les éléments sexuels qui arrivent à maturité en septembre et en octobre. Le bourgeonnement disparaît graduellement pendant cette même période ; puis vient la saison humide et les Méduses se font de plus en plus rares à la surface. Il est probable que ces animaux vivent à une certaines profondeur à la saison des pluies, à la manière de tant d’animaux marins qui montent dans les couches superficielles qu’au moment de la reproduction et que Hæckel(2) a appelés Spanipélagiques (Athoribia et Physofora, parmi les Siphonophores, Charybdea et Periphylla, parmi les Méduses, etc.).
La Méduse du Victoria-Nyanza présentent bien les même caractères que celles du Tanganyika. L’ombrelle est aplatie, discoïde, à peu près quatre fois aussi large que haute, avec un épaississement médian en forme de lentille qui remplit presque la cavité gastrique; les tentacules sont creux et très nombreux; les organes marginaux sont situés sur la ligne de rattachement du velum très étroit à l’ombrelle. La bouche, circulaire, dont le diamètre est d’environ les deux-tiers de celui de l’ombrelle, s’ouvre dans un manubrium très court. Les canaux radiaires sont au nombre de quatre, sauf chez un individu qui en a cinq; mais
(1) Dans la carte des mers à l’époque jurassique dressée par M. Neumayr (Erdgeschichte, 2nd Bd, 1887, p. 336) une bande assez étroite de l’Afrique orientale, s’étendant du golfe d’Aden au Mozambique, est seule couverte par la mer (Æthiopisches Mittelmeer); tout le reste de l’Afrique avec l’Arabie se soudent à travders l’Atlantique actuel | pour former ce que l’auteur appelle le Brasilianische-æthiopischer Kontinent sellé au sud par une zone étroite à la presqu’île indo-malgache (Indomadagassische Halbinsel). (2) E. Hæckel, Plankton-Studien, Jenaische Zeitsch. für Naturwiss., neue Folge, 18rd Bd, 1891, p. 232-337. |
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R.T. Günther en a observé cinq et le plus souvent six chez certains exemplaires. les produits sexuels sont développés sur le manubrium.
Je n’ai observé sur les exemplaires de la Méduse du Victoria-Nyanza, dont le diamètre varie de 12 à 16 millimètres, que des différences sans importance par rapport aux données fournies par R.T. Günther.
Les organes marginaux, qui font fortement saillie sur les parois du corps, sont plus nombreux et plus serrés que ne l’indique la figure 3, planche XIII, donnée par cet auteur. Ils sont presque contigus, groupés par 2, 3, 4 sur le bourrelet qui les porte et offre des constrictions radiales correspondant généralement à l’insertion des tentacules les plus développés. Sur un individu mâle, dont le diamètre de l’ombrelle est de 15 millimètres, j’ai compté 248 de ces organes.
Le nombre de tentacules est bien plus considérable que celui des organes marginaux; il correspond aux trois demies environ de celui-ci, de sorte que l’individu en question possède certainement plus de 300 tentacules. R.T. Günther dit qu’il peut y avoir plus d’une centaine de tentacules, ce qui est, en effet, fort au dessous de la vérité.
Ces organes parmi lesquels ont distingue pas moins de sept ordres de grandeurs, sont soudés à l’ombrelle sur une certaine étendue de leur portion basilaire dans les trois premiers ordres. Les batteries de nématocystes font fortement saillie sur ces appendices qui paraissent barbelées à l’œil nu, ce qu’ont ne voit pas dans les figures dessinées par R.T. Günther; mais ce caractère apparaît nettement, sans être mentionné, dans les figures de Moore. Il serait désirable d’avoir des individus asexués de cette singulière Méduse qui peut trainer avec elle des cordons porteurs de bourgeons médusoïdes, à la manière des Siphonophores, et dont les affinités restent encore bien douteuses.
L’expédition anglaise, d’après l’itinéraire indiqué par Moore, n’a exploré que la côte septentrionale du Victoria-Nyanza et n’y a point trouvé cette méduse que M. CH. Alluaud capturée sur la côte orientale.
Il est très vraisemblable que la Limnocnida n’est pas le seul représentant de la faune soi-disant « halolimnique » dans le Victoria-Nyanza et qu’on trouvera dans ce lac une partie au moins des autres animaux rangés dans le même groupe.
Il s’en faut de beaucoup, malgré les résultats acquis par les récentes explorations , qu’on soit fixé sur la faune de ces grandes nappes de l’intérieur de l’Afrique équatoriale; plusieurs même, notamment les lacs Bagouélo, Rukwa, Mwero, Beringo, etc., sont encore peu connus à ce point de vue.
Quoiqu’il en soit, la trouvaille de M. CH. Alluaud était intéressant à tous égards. Au point de vue zoologique et géographique, elle faisaient disparaitre l’anomalie apparente qui donnait au Tanganyika une place tout à fait à part parmi les grands lacs africains. Le cas présenté par le Tanganyika et Victoria-Nyanza, dont certains animaux de caractères marins affirment leur ancienne connexion avec la
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mer, se retrouve en divers points du globe, notamment au Baïkal, à la mer Caspienne à la Trinité, où J. Kennel(1) a fait connaitre une autre Méduse d’eau douce, l’Halmonise lacustris, aux Gambier, où L. G. Seurat a recueilli un Néréidien dont certains individus sexués présentant une trace, un souvenir, de la formation égamique de l’espèce marine d’où cette forme d’eau douce est dérivée(2), etc.
L’adaptation progressive de la vie marine à l’existence dans l’eau douce, si intéressante au point de vue de la biologie générale et des théories de l’évolution, peut s’observer de nos jours dans certains fleuves côtiers des Antilles et de l’ Amérique tropicale, ainsi que j’ai eu l’occasion de le signaler à diverses reprises(3).
IV
Récemment, E.D. Browne(4) a reconnu parmi les animaux recueillis dans le delta du Niger en 1903, par Budgett, cinq spécimens de la Méduse des grandes nappes de l’Afrique orientale; ils provenaient d’un lac situé près d’Assay, sur la rivière Forcado, une des branches occidentales du Niger, à 102 milles géographiques de la côte. D’après Browne, les caractères de la Méduse du Nigerconcordent même
mieux avec ceux que j’ai donné pour celle du Victoria-Nyanza, qu’avec ceux de la description originelle.
« It was, however, many more tentacles and sens-organs than arementionned by Günther in the original description of the species, and it comes nearer to the description given by Gravier of the specimens found in the Victoria Nyanza. »
Browne rapelle à ce sujet que l’existence d’une Méduse dans le Niger fut décelée dès 1888 par le Dr Tautain, qui en prit une cinquantaine d’exemplaires près de Bamakou, dans les eaux dormantes du bord du fleuve. Faute de connaissances pratiques pour la préparation de ces animauxdélicats; il ne peut les conserver ni les décrire même sommairement. C’est dans une lettre écrite à Gaston Tissandier, et communiquée ) la Société zoologique de France par
(1) J. von Kennel, Ueber eine Süsswasser Meduse, Sitzungsber., nat. Gesellsch., Dorpat, 9er Bd, 1890, p. 282-288. (2) Ch. Gravier, sur une nouvelle espèce de néréidien d’eau douce, Bulletin du Muséum d’histoire naturelle, 1905, p. 243 — Sur les néréidiens d’eau douce et leurs formes sexuées, ibid., p. 247. — Sur l’évolution des formes sexuées chez les néréidiens d’eau douce, Comptes rendus de l’Académie des sciences, t. CXL, 1905, p. 1561. | (3) Ch. Gravier, sur les annélides polychètes d’eau douce, Comptes rendus de l’académie des sciences, 1er décembre 1902. — Sur trois nouveaux Polychètes d’eau douce de la Guyane française, Bull. de la Soc. d’hist. nat. d’Autun, t. XIV, 1901, p. 353-372, 26 figures. (4) E.T. Browne, On the freshwater Medusa Limnocnida tanganyicæ and its Occurence in the River Niger, Ann. and Mag. of nat. Hist., vol. 17, 7th Ser., 1906, p. 304. |
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J. de Guerne(1), que le Dr Tautain consigna ses souvenirs relatifs à la Méduse de Bamakou, dont le diamètre, disait-il, variait de 20 à 25 millimètres. Quoiqu’il en soit, les observations du Dr Tautain et de Budgett, en deux points du Niger aussi éloignés l’un de l’autre attestent de la présence de la Méduse des grands Lacs dans le bassin de cet immense fleuve.
La découverte de la même Méduse dans le Victoria-Nyanza avait déjà ébralé la théorie de Moore. De plus Smith(2) fit remarquer que cet auteur s’était exagéré les similitudes qu’offrent les coquilles du Tanganyika et celles du Jurassique et qu’un examen attentif révèle entre elles des différences très nettes, sauf peut-être entre les genres Parameliana et Purpurina. Le savant conchyliologiste rappelle, en outre, que seuls les Gastéropodes du Tanganyika ont une apparence marine; que les Lamellibranches ont franchement l’aspect de ceux qui vivent dans les eaux douces; que beaucoup d’espèces d’eau douce, comme les Unios, ont de très fortes coquilles, tandis que d’autres mollusques de la même classe, vivant dans les mêmes eaux, ont un test mince et que l’on trouve des faits du même ordre chez les animaux marins. Il existe, du reste, dans le lac Nyassa, tout un groupe de Mélaniens dont Bourguignat avait souligné, dès 1889, le caractère « thalassoïde ».
Pour expliquer l’existence de la Limnocnida tanganyicæ dans le Niger, si loin des vastes nappes de l’Afrique orientale, Browne rapelle une opinion émise par Boulenger(3). Les documents paléontologiques montre que la mer s’étendait sur la plus grande partie de l’Afrique, au nord de l’équateur, pendant la période éocène. En se retirant vers le sud l’ocèan soudanien aurait laissé les Méduses dans des régions partiellement émergées, où elles se seraient graduellement adaptées à l’eau douce . De cette façon, il est inutile d’imaginer que ces Coelentérés venus de l’océan auraient remonté le Niger pour pénétrer à l’intérieur de l’Afrique.
Il est hors de doute que la Limnocnida, comme tous les autres animaux des Grands Lacs, a une origine marine. Mais il ne semble pas nécessaire, pour expliquer sa dispersion en Afrique, de faire intervenir une mer qui serait jurassique suivant Moore, éocène suivant Browne.
L’adaptation des animaux marins à l’eau douce n’est pas localisée dans le temps. On peut assister à ce phénomène de nos jours, en divers points du globe, notamment sur les fleuves côtiers des Antilles et de l’Amérique tropicale, comme je l’ai indiqué plus haut. Mais san rien préjuger quant à l’époque où la
(1) J. de Guerne, A propos d’une Méduse observée par le Dr Tautaindans le Niger, à Bamakou (Soudan Français), Bull. de la Soc. zool. de France, vol. 8, 1893, p. 225. (2) E.A. Smith, The Mollusca of lake | Tanganyika, Proceed. of the Malacol.,Soc., vol. VI, part. II, 1904. (3) G. A. Boulenger, The Distribution of african freshwater Fishes, Nature, Aug. 1905, p. 148. |
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Limnocnida tanganicæ s’est accoutumée à vivre dans l’eau douce, ses migrations à travers le continent africain peuvent remonter à une date peu éloignée et peut-être même se poursuivre de nos jours.
Si on jette les yeux sur les cartes des diverses régions de l’Afrique dressées d’après les résultats des plus récentes explorations, on est frappé de la physionomie très spéciale que présente l’hydrographie de cette partie du monde sur de vastes étendues; les bassins du Nil, du Congo, du Chari et du Niger se pénètrent réciproquement, car ils ne sont pas séparés par des lignes de partage des eaux tels que nous les représentons d’ordinaire. Le Nil et le Congo sont, de plus, en relation avec les Grands Lacs.
Le Tanganyika est en communication avec le Congo par la Loukouga.
Le Victoria-Nyanza, dont la surface égale presque la moitié de celle de l’Angleterre est, comme chacun le sait, le plus grand des réservoirs où s’alimente le Nil. Les fluctuations constantes du niveau de cet immense lac sont, d’après Buckley(1), presque entièrement liées aux conditions climatériques, en particulier aux pluies; elles sont affectées par le courant du Nil aux Ripons Falls. Si Harry Johnston a fait observer, à ce propos, que quelques cours d’eau tributaires du Tanganyika prennent leur source près du bord sud du Victoria-Nanza, et s’écoulent dans une contrée où le niveau est très inférieur à celui du lac. Un léger changement de niveau de la rive sud-ouest, qui est plate, inonderait l’Ounyamoué et relierait par suite le Victoria-Nyanza au Congo.
Le Nil intimement lié au Congo.
« Il n’y a, en effet, dit M. A.-H. Dyé(2) entre le bassin du Congo et du Nil, aucune démarcation naturelle, aucune crête montagneuse. L’identité est complète entre les deux plateaux ferrugineux des hauts affluents de la rivière des Gazelles (Barh-el-Ghazal) et de l’Oubangui qui forme un tout. Aussi les traitants nubiens avaient-ils étendu leurs razzias très loin dans le bassin du Congo, avant que le cours même du grand fleuve eût été révélé à l’Europe par Stanley. » Entre les affluents de la M’Bomou (dépendant de l’Oubangui)et ceux du Barh-el-Ghazal tributaires du Nil il n’y a pas de séparation; la liaison est naturelle.
De même les bassins du Chari et du Congo sont en rapport étroit l’un avec l’autre. D’après M. Courtet, chargé spécialement de la topographie dans la mision Chari-Tchad (1902 – 1904), et qui m’a fort obligeamment fourni les renseignements personnels qu’il possède sur la région, il n’existe entre l’Oubangui et le Tachad une gouttière jalonnée par la Kemo (affluent de l’Oubangui), la Nana et le Gribingui dépendant du Chari. Une dénivellation de quelques mètres+
(1) R.B. Buckley, Colonization and Irrigation in the East Africa Protectorate, The Geograph. Journal, 1903, vol. XXI, n° 4, p. 349-375. | (2) A.H. Dyé, Le Bahr-el-Ghazal; notions générales sur la province, les rivières, les plateaux et les marais, Ann. de Géogr., 1902, 315-338, 1 carte. |
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dans les environs de Dekoua mettrait en communication la Kemo et la Nana, et par conséquent, opérerait la fusiion entre les deux bassins.
Le Niger est également en communication directe avec le Chari et, par conséquent, avec le Tchad. Entre la Bénoué, affluent du premier, et le Logone, dépendant du second, s’étendent les vastes marais du Toubouri, reliés au Logone de par une dépression de 2 ou 3 kilomètres de largeur, d’une vingtaine de longueur sillonnée par une rivière au cours indécis. D’après le commandant Lenfant(1), les crues de ce cours d’eau permettent la navigation au moyen de chalands calant deux pieds pendant plus de trois mois par an, du 20 juillet au 25 octobre.
L’absence de relief dans ces bassins est telle que, sur de vastes espaces, le sens de la direction d’écoulement n’est pas constant; il dépend du niveau des eaux. Il en serait ainsi pour certains tributaires du Logone et peut-être même pour le Niger dans la région de Tombouctou. Mr Courtet m’a dit avoir constaté un fait du même ordre dans le Bahr-el-Salamat. Ce dernier communique avec le lac Iro, non directement, comme l’indiquent les anciennes cartes, mais par un bras accessoire; suivant la région où tombent les pluies, les eaux s’écoulent tantôt du lac dans le cours d’eau, tantôt en sens opposé; il y a là une dépression où peut se déverser le trop-plein des crues, jouant par rapport au Bahr-el-Salamat le même rôle que le Fayoum par rapport au Nil, le Faguibine, aujourd’hui en voie de dessèchement, par rapport au Niger.
La portion du Chari qui aboutit à la partie orientale du Tchad, actuellement marécageuse et qu’on appelle aussi le Bahr-el-Ghazal n’est plus arrosé maintenant par les eaux du Tchad. Autrefois, le lac s’écoulait dans la vallée du Bahr-el-Ghazal ; d’après le lieutenant-colonel Destenave(2), il est très vraisemblable qu’il se produit encore de nos jours un écoulement souterrain qui fournit l’eau aux puits et aux mares de cette grande dépression, dont le niveau, en certains points, est situé au-dessous de celui du lac.
Il n’entre pas dans notre pensée d’indiquer ici toutes les connexions existant entre les grands fleuves africains; il y en a certainement bien d’autres que celles mentionnées ci-dessus. Dans la carte ci-contre, ne figurent que les rivières et les lacs dont il est question dans la présente note; elle est uniquement destinée à en faciliter la lecture.
Dans un mémoire très documenté, tout récemment paru, M. F. E. Gautier(3) est amené à conclure que, à l’époque pléistocène, le Niger, de même que l’Oued
(1) Commandant Lenfant, La grande route du Tchad, Paris, Hachette et Cie, 1905, in-8°, 288 p. (2) Lieutenant-Colonel Destenave Le lac Tachad; le lac, 1er partie : les affluents, | les archipels, Revue gén. des Sciences, 1904, p. 649-662. (3) F.-E. Gautier, Études sahariennes; second article, Ann. de Géographie, n° 86, 15 mars 1907, p. 117-138. |
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Messaoud, se jetait dans l’immense cuvette couverte aujourd’hui de dunes, appellée Djouf, au nord-ouest de Tombouctou. A. Chevalier(1) pense aussi qu’il existait une mer récente dans la région de Tombouctou. Ces hypothèses fourniraient une explication simple sur la présence de la Limnocnida dans le bassin du Niger, tant en amont qu’en aval.
Mais il est fort possible aussi que les migrations de cette Méduse se soient effectuées par une toute autre voie, à une époque récente, et qu’elles se poursuivent même encore de nos jours. Il est vraisemblable que des recherches ultérieures, faites à l’époque où elle vit la surface, permettront de la trouver en des points intermédiaires aux stations fort éloignées les unes des autres qu’on lui connait aujourd’hui. Si, comme le pense Browne, cette Méduse ne se reproduit pas directement comme l’a dit Moore, mais passe par une phase hydroïde, les migrations pourraient se faire en sens inverse des courants, comme le montre l’exemple bien connu du Cordylophora lacustris qui, véhiculé par les Dreyssènes, a envahi les conduites d’eau de certaines grandes villes, de Paris et de Hambourg, en particulier.
(1) A. Chevalier, Sur l’existence probable d’une mer récente dans la région de | Tombouctou, Comptes rendus de l’Académie des Sciences, t. 132, 1901, p. 926-928. |
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L. Germain(1), qui a étudié les collections rassemblées par Éd. Foà, Fourreau-Lamy, A. Chevalier, Lenfant, Lacoin, etc., a mis en évidence la similitude des faunes malacologiques du bassin du Chari, du Congo, et du haut Nil; l’analogie se poursuit jusqu’aux espèces; la même homogénéité est à noter pour les Grands Lacs (Nyassa, Tanganyika, Victoria-Nyanza, Albert-Nyanza, Tchad), y compris les lacs Rodolphe, Stéphanie, et Marguerite, d’après les travaux récents de Neuville et Anthony(2).
D’autre part, Jacques Pellegrin a montré l’analogie de la faune ichtyologique du Nil et du Sénégal(3); récemment, en étudiant les collections de Poissons rassemblées par la mission Chari-Tchad, il a fait remarquer que le Chari et le Congo ont également des formes communes (4 et 5).
Les considérations qui précèdent, en rappelant la continuité des grandes voies fluviales qui sillonnent le continent noir, permettent de concevoir les migrations d’animaux flottants comme les Méduses et expliquent aussi l’uniformité de la faune d’eau douce de l’Afrique tropicale(6).
(1) L. Germain, essai sur la Malacographie de l’Afrique équatoriale, Arch. de Zool. expér. et génér., 4e série, t. VI, 1907, p.103-135. (2) H. Neuville et R. Anthony, Contribution à l’étude de la faune malacologique des lacs rodolphes, Stéphanie, et Marguerite, Bull. de la Soc. philom., 9e série, t. VIII, 1906, p. 275-300, 2 pl., 11 et 12. (3) J. Pellegrin, Contribution à l’étude anatomique, biologique et taxinomique des Poissons de la famille des Cichlidés, Mém. de la soc. zool. de France, t. XVI, 1903, p. 41-399, pl. VI-VII. (4) J. Pellegrin, Cyprinodontidés, nouveaux du Congo et de l’Oubangui, Bull. du Mus. d’hist. nat., t. X, 1904, p. 221-223. (5) J. Pellegrin, Poissons du Chari et du lac Tchad récoltés par la mission Chevalier-Decorse, ibid., p. 309-313. (6) Le présent travail était livré à l’impression qui, par suite de diverses circonstances, | a été longuement retardée, lorsque est paru le mémoire récent de R. T. Günther (Report on Limnocnida tanganyicæ, with a Note on the Subspecies from the Victoria-Nyanza. — Zoological Results of the 3rd Tanganyika Expedition, conducted by Dr W. A. Cunnington, 1904-1905. — Proceed. of the Zool. Soc. of London, 1907, p. 643-656, pl. XXXVII, fig. 172-174b dans le texte). Cet auteur considère la Méduse du Victori-Nyanza comme sous-espèce ou une variété de celle du Tanganyika (Limnocnida tanganyicæ var. victoriæ), à cause du mode spécial d’insertion des tentacules. Provisoirement, il range les deux genres Limnocodium et Limnocnida, parmi les Trachoméduses dans la famille des Petasidæ. Limnocnida se distingue d’ailleurs de toutes les autres Trachoméduses connues jusqu’ici par le développement des cellules sexuelles sur le manubrium et aussi par sa multiplication par bourgeonnement du manubrium. |
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