Neolamprologus multifasciatus en milieu naturel

Neolamprologus multifasciatus en milieu naturel

Multifasciatus
Nom de code BMNH 1920.5.25.169-170

Par Eric Genevelle (juillet 2001)

Neolamprologus multifasciatus (Mbity islmand)

Neolamprologus multifasciatus (Mbity island)

Non, ce n’est pas le dernier Best-seller de Tom Clancy avec, en haut du Kiosque, le matricule du dernier SNLA (sous-marin nucléaire lanceur d’engins) de la marine américaine, mais tout simplement la référence de l’holotype du plus petit Cichlidé du lac Tanganyika (voir du monde). Et pourtant, au regard de son comportement, il ne ferait pas honte à cet écrivain de talent.
Et comme pour tout récit, plongeons-nous dans l’histoire…

1904, la terre et calme (pour 10 ans), le colonialisme bat son plein. Commandité par les institutions scientifiques britanniques, Le Dr W. A. Cunnington s’embarque pour l’Afrique pour y effectuer sa troisième expédition scientifique sur le lac Tanganyika. Deux années sur le terrain pour y collecter des centaines de spécimens destinés au Belge George A. Boulenger en vue de descriptions scientifiques. Parmi ces spécimens collectés, 5 minuscules poissons pêchés dans les eaux de Niamkolo. Niamkolo, ou Kinyamkolo est, selon Herrmann, une petite baie située à une centaine de mètres à l’ouest de Mpulungu, Zambie.
Je suis allé sur place. En fait, c’est 500 m à l’est de Mpulungu. Mais bon, quand on est, comme vous, à 6500 Km du lac, cela a peu d’importance. Et puis, si on se réfère aux documents de l’époque, les localisations ne se faisaient pas au GPS ! En fait, aux alentours de Mpulungu, soit, à l’extrémité sud du lac, il y a deux champs de coquilles de Neothoma. Et bien oui, sans Neothoma, pas de multi, mais nous y reviendrons plus tard. Le premier est le site de collecte de l’holotype (spécimen ayant servi à la description de l’espèce), soit Niamkolo, et le deuxième, dans la partie sud-est de l’île de Mbity Island située à quelques miles du port de Mpulungu. Vous pardonnerez, je l’espère, l’auteur de cet article d’avoir pu capturer l’image de ce poisson à Mbity et non pas en lieu et place de l’holotype, pour cause de meilleure visibilité.

Mbity island

Mbity island

Neolamprologus modestus sur lit de coquilles

Neolamprologus modestus sur lit de coquilles

Couché de soleil sur le lac Tanganyika

Couché de soleil sur le lac Tanganyika

Cunnington ramène donc ses 5 spécimens. Boulenger, en 1906, décrit l’espèce sous le nom de Lamprologus multifasciatus, dessin à l’appui. Sans rentrer dans le détail de la description de l’époque, quoique toujours valide, nous dirons que cette espèce, endémique du lac Tanganyika, se caractérise par :

Une dentition conique en plusieurs rangées avec 8 canines médianes à chaque mâchoire. Os pharyngien triangulaire à lame très courte, à dents toutes fines, bicuspides (à deux pointes).

Branchiospines au nombre de 6-8 sur la partie inférieure du premier arc branchial.

Caudale faiblement arrondie

La ligne latérale inférieure est absente.

Livrée caractérisée par de nombreuses, 16-17 barres verticales noirâtres sur les flancs qui se prolongent sur la dorsale et sur la caudale.

Longueur maximale : 35 mm

Espèce endémique du lac Tanganyika, particulièrement intéressante par sa petite taille et l’absence de ligne latérale inférieure.

Et je vous épargne les rapports métriques qui auront pour vous de l’importance lorsque vous, par passion, déciderez qu’ils ont de l’importance…

Bref, Boulenger décrit l’espèce, mais ne l’a jamais vu sous l’eau, ne sait pas où elle habite, comment elle vit, se reproduit, se nourrit, tant est si bien que Pierre Brichard, en 1978, ce qui n’est pas si vieux, écrit, outre ce qui a déjà été précisé dans cet article, que le nombre d’épines sur la nageoire dorsale est de 12 (XII pour les taxinomistes) alors que sur bon nombre de Lamprologues, ce nombre varie, tant sur la dorsale que sur l’anale et qu’enfin, rien n’est connu sur l’écologie et sur le comportement de l’espèce, cette dernière n’ayant jamais été observée sous l’eau.

10 années passent. Rien de neuf. Puis en 1988, le premier ouvrage de référence, celui d’Ad Konings qui se lance, après des années de maintenance, d’expérimentation, d’observation, d’investissement, dans l’étude des cichlidés du lac. Un ouvrage superbe, incomplet, mais novateur. Un ouvrage qui précisait pour la première fois le comportement des espèces dans leur biotope naturel.

Mastacembelus moorii

Mastacembelus moorii grand amateur de Neolamprologus multifasciatus

Neolamprologus multifasciatus

1991 : Et alors, que savons-nous de plus ? Que cette espèce vit dans des escargots de bourgogne, qu’il suffit d’un 100 litres pour les rendre heureux et faire la joie des plus jeunes aquariophiles. A se limiter à ces principes, autant se limiter aux Black molly ! Sur un plan taxinomique, Colombe & Allgayer décident cependant d’éclater le genre Lamprologus et place notre amis dans les Neolamprologus.

1997 : Stiassny se lance dans une étude morphologique des Lamprologus au sens large et en conclu, sur la base de données morphologiques que le multi n’est pas un Neolamprologus. Il n’est pas non plus un Lamprologus car ce genre n’est pas présent dans le lac. Notre poisson a donc besoin d’un nouveau genre qui correspondrait à quelque chose comme « Lamprologus lacustre ». Mais notre rôle n’étant pas d’inventer des genres sous prétexte que l’on doive écrire un article, nous donnerons comme nom provisoire « Lamprologus » multifasciatus (Boulenger, 1906).

2000 : Je me lance, part pour le lac. Je suis à l’endroit même où le premier multi a été collecté. Je dérive, 2 km à l’ouest, plonge, 5 mètres de visibilité. Et là, ce que vous aviez toujours rêvé, le champ de coquilles, à perte de vue. La zone semble déserte, désolée si vous vous contentez de planer, loin de la vie, c’est à dire, à 10 cm du sol… Sauf si, moins pressés, vous ralentissiez, pour y découvrir, ce que l’on vous présente trop souvent en pâture, comme un Cichlidé facile, pas cher, bradé à 100 Fr le lot de 10. Le fameux multi.
Réhabilitation du BMNH 1920.5.25.169-170.

Réhabilitation. Tout simplement parce qu’il n’est pas si commun au sein des eaux, des eaux du lac, qu’il n’est connu que de la côte zambienne du lac, soit moins de 200 km de côte pour un poisson que l’on croit facile à acquérir… sous une forme originale…

Si, aujourd’hui, vous découvrez cet article, c’est, non pour vous narrer comment maintenir cette espèce dans un bac de 100 litres, histoire de vous initier à la maintenance de petites espèces caractérielles dans des boules de verre, mais de vous expliquer comment j’ai compris combien cette espèce ne pouvait s’épanouir dans moins de plusieurs mètres carrés.

On ne compte plus les articles qui vous incitent à placer dans un bac de 50 litres un petit groupe de multifasciatus (5 ou 6 pour démarrer) en précisant bien qu’il faut leur mettre une douzaine de coquilles d’escargots de bourgogne sur un lit de sable. C’est vrai, ça marche. Il vont passer le plus clair de leur temps à enterrer les coquilles jusqu’à atteindre le fond du bac et toucher la vitre. Rapidement, ils vont se reproduire et envahir la totalité de l’espace disponible. Les mâles excédentaires seront chassés du lit de coquille et nageront entre deux eaux (dans le meilleur des cas). On en arriverait presque à croire que le multi est un poisson dénué de caractère, sans structure familiale bien définie. C’est se méprendre sur l’animal. On a beau être le plus petit cichlidé du monde, on a droit à ses lettres de noblesse !

Pour commencer, notre poisson a besoin de place. Il vit habituellement dans d’immenses champs de coquilles (Neothauma tanganicense) de plusieurs centaines de mètres carrés et situés entre 5 et 40 mètres de profondeur. Contrairement à ce que l’on peux penser, ces coquilles ne sont pas toutes vides. Et oui, environ 25% d’entre elles sont vivantes et s’entassent sur plus de 50 cm d’épaisseur. Ce n’est donc pas un lit de coquille, mais un matelas. Les multi ne creusent pas dans cette couche de coquilles mais s’y déplacent, un peu comme s’ils circulaient un immeuble de 5 étages, passant d’un appartement à l’autre. La concentration n’est pas très élevée. On observe environ de 6 à 10 poissons adultes au mètre carré, sans compter les juvéniles qui restent invisibles (cachés au fond de la coquille ou circulant dans les étages inférieurs du matelas).

Sur ce territoire, on observe généralement un ou deux mâles nageant à 5 cm au-dessus du sol et les autres individus, plus petits, sont des femelles. Elles restent généralement à l’entrée de la coquille, prêtes à s’y réfugier en cas de danger. Elles semblent fidèles à leur coquille et ne s’en éloignent jamais, même pour se nourrir. Fort de ce constat et de l’équilibre entre les mâles et les femelles, il semblerait que cette espèce vive en harem. Si l’on place des multi dans un grand aquarium (plus de 600 litres), on remarque très bien cette structure familiale. Un mâle contrôle plusieurs femelles dans un même tas de coquille. Les mâles excédentaires sont refoulés et ne peuvent se cacher dans les coquilles proches des femelles. Ainsi, petit conseil, si un ami vous offre des multi et qu’il faille les pêcher dans un aquarium, privilégiez si possible les poissons qui se cachent dans les coquilles et pas ceux qui nagent au dessus (généralement plus gros). Ainsi, vous aurez un groupe équilibré contenant plus de femelles que de mâles. Dans un petit bac (le fameux de 50 litres), ce genre de comportement est difficilement observable. Un jour, dans un bac de 1100 litres, j’ai placé deux mâles multi. Chaque poisson a pris pour territoire la moitié du bac et savait le faire respecter. Étonnant pour un si petit poisson.

La collecte du “multi”

La pêche aux multi a d’étranges similitudes avec la cueillette des champignons. La première étape est de trouver le coin, c’est à dire, le champs de coquille. Il faut ensuite voir le premier poisson. Dès que vous en avez repéré un, vous voyez les autres. Il faut avancer alors avec précaution en regardant où on pose ses palmes puis on ramasse la coquille où vient de se cacher le poisson. On place celle ci dans un sac en plastique et on continue la promenade.

Champ de coquilles de Neothauma à Mbity

Champ de coquilles à Mbity

Craig à la collecte

Craig à la collecte des conchylicoles

Remarquez qu’en aquarium, c’est la même technique. On peux remonter les poissons directement à la surface (les conchylicoles, curieusement, n’ont pas besoin d’effectuer de paliers de décompression). On place ensuite toute les coquilles dans un grand bac et on attend que les poissons sortent. Bien évidemment, comme dans vos bacs, il y a toujours quelques irréductibles qui ne sortent pas. Dans ce cas, on casse les coquille pour récupérer les trouillards.
Un aquarium pour lui plaire

Neolamprologus multifasciatus en aquarium

Neolamprologus multifasciatus en aquarium

Je répète : Petit poisson a besoin d’espace. Je conseille donc de prendre un bac d’environ 500 litres. D’un côté, vous créez un éboulis rocheux qui sera peuplé de ce que vous voulez (Tropheus, Lamprologues, Ophthalmotilapia, etc.) Au centre du bac, une plage de sable pour un petit groupe de sabulicoles. Et de l’autre côté un matelas d’environ 100 coquilles.
Conseil : Ne lustrez pas les coquilles, plus elles sont ternes, mieux c’est. N’hésitez pas à mettre aussi des coquilles cassées et d’autres petits coquillages plus petits, cela solidifiera la structure du matelas et rendra la chose plus naturelle et plus conforme à ce que l’on trouve dans la nature. Ainsi constitué, les multi ne devraient plus creuser. Placer dans le bac environ 2 ou 3 mâles et 10 femelles. Essayez d’introduire les poissons près de lit de coquille afin qu’ils se cachent dès l’introduction dans le bac. En effet, un multi désorienté et qui plane entre deux eaux ressemble pour tout poisson normalement constitué à une proie idéale. Où se procurer ses multi ?

La meilleure source est bien évidemment le lac et si vous avez la chance d’obtenir des individus sauvages (généralement accessibles financièrement), vous constaterez qu’ils sont bien plus petits et plus allongés que ceux que l’on trouve dans nos bacs. Privilégiez ainsi les individus plus long que haut (je ne rigole pas, on trouve aujourd’hui de tout), des individus aux barres bien marquées, qui ne couvrent pas le dessus de la tête (hybridation possible avec Neolamprologus similis (un proche voisin). Prenez des individus de toutes les tailles et de différentes souches afin de limiter la consanguinité (de plus en plus observée dans les élevages des amateurs). L’idéal est de se rendre à la bourse du congrès de l’AFC. On y trouve généralement plus de 10 particuliers proposant cette espèce à environ 15 F pièce. Deux par ci, deux par là et encore trois plus loin et vous avez une bonne base. Comme compagnon de bac, tout est presque possible car notre multi n’embête personne. Par contre d’autres poissons du lac Tanganyika peuvent nuire à notre ami, comme le Tetraodon mbu qui croque les coquilles pour manger l’escargot (ou le poisson) qui s’y cache, le Cyphotilapia frontosa, qui n’hésite pas à aspirer les contenant des coquilles, le Lamprologus callipterus qui va voler toutes les coquilles, les Mastacembelus moorii qui iront capturer les multi au fond des coquilles, les Altolamprologus qui établiront leur territoire de chasse au dessus du nid pour fondre sur le premier alevin qui sort la tête du matelas. Et quand bien même, si vous avez un de ces poissons là, ce ne serait que reproduire ce qui se passe dans la nature.

Question alimentation, notre ami n’est pas difficile à condition que les particules soient particulièrement fines. Les nauplius d’Artemia et cyclops sont idéales. Au défaut, des paillettes de bonne qualité et écrasées en poudre feront l’affaire.

Sur le plan des maladies, le multi est un poisson très robuste. Je n’ai jamais observé un multi malade. Mais ce n’est pas une raison pour les prodiguer tous les soins qu’il mérite comme des changements d’eau réguliers et une filtration efficace (sans trop de brassage).

Bibliographie:

Maréchal, C. and M. Poll, 1991 Neolamprologus. p. 274-294. In J. Daget, J.-P. Gosse, G.G. Teugels and D.F.E. Thys van den Audenaerde (eds.) Check-list of the freshwater fishes of Africa (CLOFFA). ISNB, Brussels; MRAC, Tervuren; and ORSTOM, Paris. Vol. 4.
STIASSNY M.L.J. A phylogenic overview of the Lamprologine cichlids of Africa: a morphological perspective South African Journal of Science Vol 93: Nov/dec 97
BOULENGER G.A. Catalogue of the freshwater fishes of Africa in the British Museum Vol III / 1915
POLL M. Révision de la faune ichtyologique du lac Tanganyika Annales du Musée du Congo Belge C. Zoologie. Poissons, Reptiles, Amphibies Série I, Tome IV Fascicule 3. P 141-364 / 1946

 

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