Neolamprologus sp. “eseki”

Neolamprologus sp. “eseki”

Neolamprologus sp. “eseki”

Neolamprologus sp. “eseki” “Kapemba” (Tanzanie) Photo Ad. Konings

D’après Eric Genevelle
Mis à jour le 29/09/1999

“Eseki” qu’est-ce que celui là ?

Une invention du père Genevelle à la recherche d’un cichlidé inconnu ? Un futur Neolamprologus genevellei ? Non rien de tout ça. Messieurs (et Mesdames), soyons un tantinet sérieux.

Pour tout vous dire, je n’avais jamais entendu parler de ce poisson avant le début du mois d’août de l’an 1999, avant que Mikael Karlsson d’African Diving m’envoie un article sur le Tanganyika à traduire pour son site web (et oui, je fais quelques extras !). Dans cet article, nommé “Depths of the past”, que vous verrez bientôt sur son site, il raconte une plongée aux abords de Mpimbwe (Tanzanie) et cite soudainement un certain Neolamprologus sp. “eseki”. Panique à bord. Comme un rat des bibliothèques, je fonce sur ma base de données, ma photothèque, les ouvrages récents et antiques… Rien, pas l’ombre de ce species, ni même dans le dernier ouvrage d’Ad. ! Je me replonge donc sur mon ordinateur et envoie un mail à Mikael pour en savoir plus (c’est pas que je me méfie des noms attribués par les exportateurs, mais… oui, je me méfie !!!).

Neolamprologus sp. “eseki” à Mpimbwe.

Le lendemain, réponse de Mikael (Ouf, une nuit blanche suffit). Il me dit alors que le N. sp. “eseki” est un relativement petit cichlidé qui vit près de Mpimbwe. Il ressemble légèrement au N. mondabu bien que ce dernier ait une nageoire caudale arrondie alors que le N. sp.”eseki” a une caudale presque identique à celle du N. christyi, c’est à dire à bouts pointus (“Forked tail” dans le jargon). Il me fait aussi remarque que le N. sp.”eseki” habite dans le même type de biotope que le N. christyi (5/25 mètres avec une prédominance pour la zone des 15/20 m). Il estime ainsi que le N. sp. eseki et le N. christyi sont étroitement liés.

Enfin, il ajoute que dans le dernier livre d’Ad. Konings, il y a une photo du “eseki” à la page 161 (photo N°6) qui est libellée comme un Neolamprologus mondabu de Kapemba.

 

Voyons ce que dit Ad. sur ce poisson. Il nous dit que le N. mondabu vit tout autour du lac et qu’il ne présente pas de variation chromatique et morphologique excepté dans la zone de Korongwe où les individus présentent une nageoire caudale “forked” (à lobes pointus) et un liseré noir sur le bas du lobe inférieur. Korongwe étant à environ 2 km au Nord de Kapemba et à 5 km au Sud de Mpimbwe, c’est bien de notre poisson qu’il s’agit (c’était pas évident car il existe aussi à Kapemba en Zambie). De plus, quand il parle du Neolamprologus christy, Ad. nous précise que cette espèce n’est présente qu’au Sud-Est du lac, entre Isanga (Zambie) et Kipili (Tanzanie, mais beaucoup plus au Sud que Mpimbwe).

Il en déduit donc que le poisson qui ressemble au mondabu qui a une caudale “forked” est une race géographique du mondabu.

Karlsson n’est pas de cet avis car, bonne nouvelle, il a observé à Mpimbwe le N. sp. “eseki” en compagnie de la race normale de Neolamprologus mondabu. Or il est impossible que 2 formes morphologiques distinctes d’une espèce soient présentent en un même lieu. De plus , il précise que le N. sp. “eseki” vit plus profondément que le mondabu (qui lui rode dans la zone des 2/3 mètres de profondeur).

Mikael en arrive donc à la conclusion que le N. sp. “eseki” serait une race de N. christyi (étrange car cette espèce n’a elle aussi pas de races chromatiques connues) et que la zone de répartition du N. christy remonterait jusqu’à Mpimbwe.

 

 

 

N. sp. “eseki” – couple avec ses alevins à Mpimbwe.

Dans le doute, je relie (pour la ènième fois) mes bouquins et je tombe sur la chose suivante (Ad. Konings, 1998). A Hinde B (Tanzanie), on trouve le Neolamprologus christyi en compagnie d’un Neolamprologus mondabu qui présente une caudale à lobes pointus…
Ces poissons ne présentent cependant pas le liseré noir à la base du lobe inférieur (possible variété chromatique et géographie du N. sp. “eseki”. Les individus étaient sub-adultes et beaucoup plus clairs que les N. christyi. Ceci est très intéressant car quand Ad. parlait de la variété N. mondabu “Korongwe”, il disait que ces lobes étaient pointus quand le poisson était de grande taille. Or ici, il cite le même caractère morphologique chez des individus jeunes.

Contacté par email, Ad. Konings pense effet que le N. sp. “eseki” n’est pas une variété chromatique du N. christyi. En refouillant dans ses notes, il me dit que le N. sp. “eseki” ne vit pas exactement dans le même biotope que le N. christyi, le N. christyi vivant généralement dans la zone intermédiaire, voir limoneuse de l’habitat. Il avait aussi noté que les N. sp. “eseki” territoriaux restaient de couleur clair (contrairement au N. christyi qui devient presque noir). De plus, les juvéniles N. christyi sont bleutés alors que les “eseki” ne le sont pas.

Conclusion: Si on trouve le N. mondabu “forked tail” alias N. sp. “eseki” en différents endroits en Tanzanie vivant de manière sympatrique avec le Neolamprologus mondabu et le Neolamprologus christyi, il ne peut en aucun cas s’agir d’une de ces deux espèces. Ce serait donc une nouvelle espèce (CQFD).

Évidemment, tout cela reste à confirmer par une étude beaucoup plus sérieuse. Il serait ainsi très intéressant de procéder à un comptage des écailles chez cette nouvelle espèce. En effet, il s’avère que le principal caractère distinctif entre le N. mondabu et le N. christyi réside (en dehors de la forme de la caudale) en le nombre d’écailles sur le corps (dans le sens de la longueur), le N. mondabu en ayant entre 34 et 37 sur la ligne longitudinale et le N. christyi, entre 50 et 60.

Neolamprologus mondabu.

Neolamprologus christyi.

 

La répartition géographique de cette nouvelle espèce ? Il semble d’après nos deux auteurs qu’elle soit présente dans la zone de Mpimbwe et à Hinde B en Tanzanie. Entre les deux, c’est probable. En d’autres endroits, rien ne le montre. Y’a pu qu’à chercher !!!

Reste, pour finir, qu’à vous dire que cette espèce n’est pas nouvelle. En effet, Mikael Karlsson m’avoue avoir connaissance de ce poisson depuis bientôt 10 ans. Comme quoi, c’est comme chez les Suisses: Tout avance. Lentement. En attendant, Ad. pense comme moi qu’il devrait s’agir d’une nouvelle espèce (hip hip hip … !!!). On vient de demander quelques spécimens (vivants ou formolés) afin d’aller plus loin dans cette étude. Je vous tiendrai donc au courant.

Objet N. mondabu N. christyi N. sp. “eseki”

RECAPITULATIF (pour ceux dorment)
Objet N. mondabu N. christyi N. sp. “eseki”
Répartition géographique Tout le Lac De Isanga à Kipili Mpimbwe et Hinde B (???)
Variation géographique Inconnue Inconnue Liseré noir sur le lobe inférieur de la caudale à Korongwe
Habitat Zone intermédiaire et rocheuse supérieure de l’habitat (2/3 m) Zone intermédiaire et limoneuse relativement profonde (5/25 m) Zone intermédiaire relativement profonde (pas de détail)
Forme de la caudale Arrondie Lobes pointus Lobes pointus
Nb d’écailles en ligne longitudinale 34/37 50/60 environ 40
Couleur des juvéniles Beige / gris clair bleu Beige / gris clair
Couleur des adultes Beige / gris Marron très foncé à noir – voir blanc nacré Beige / gris clair

Couple de Neolamprologus christyi à Mvuna.

Note complémentaire de Jos Snoeks (21/09/1999):

En ce qui concerne l’eseki, ce n’est certainement pas un christyi; je l’ai vérifié par le comptage du nombre d’écailles sur la ligne longitudinale sur la photo. C’est possible que nous ayons pas mal de spécimens dans notre collection. J’ai vite vérifié dans mes notes et en effet, j’avais déterminé une partie des mondabu de notre expédition de 92 comme aff. mondabu. Ces exemplaires venaient de la région entre Kipili et Cap Mpimbwe. Je ne connais plus les détails, mais ils étaient un peu différents des mondabu de la région nord du Malagarasi.

Ça y est ! J’ai trouvé d’autres notes, et oui il paraît qu’on a cette espèce dans nos collections. Entre parenthèses, d’après les données que j’ai a ce moment, mondabu n’est pas présent dans tout le lac. Justement il n’est pas présent nord des localités ou l‘eseki est trouvé jusqu’à sud de l’embouchure du Malagarasi. Voir la carte dans Snoeks et al 1994. The Tanganyika problem: comments on the taxonomy and distribution patterns of its cichlid fauna. Un autre chose dont il faut tenir compte, c’est que dans la littérature scientifique, mondabu et modestus ont été confondus. Peut-être aussi dans le monde des aquariophiles ???

Description ?

Concernant une description par nos services, je ne peux donner aucune garantie. Franchement, je serai trop occupé jusqu’à février-mars de l’an prochain et probablement plus tard aussi. En plus il faut tenir compte qu’une bonne description de cette espèce (si c’est une nouvelle espèce) demande quelques mois de travail pratique, parce que j’ai d’autres obligations (des rapports, des consultations, prendre soin des collections, guider des étudiants, arbitrer des manuscrits des collègues, etc.).

Il faut comparer la nouvelle espèce avec d’autres espèces similaires, qui peut se limiter peut-être à mondabu, mais rien n’est sûr. Quand le manuscrit est prêt, il faut l’envoyer à une revue internationale pour la faire arbitrer. Quand c’est fait il y a des modifications à faire et il faut le renvoyer et il y a bien un an – un ans et demi qui est passé avant la date de publication. C’est comme ça que ça marche dans le monde scientifique. En bref, ne compte pas à une description avant mi-2001. Ah oui, c’est dur la vie d’un taxonomiste professionnel.

 

Note complémentaire d’Heinz Büscher (27/09/1999):

J’ai capturé 3 spécimens de cette espèce à 5km au sud d’Utinta à une profondeur d’environ 6 mètres le 13 mai 1995. Ces spécimens font partie de ma collection privée. La taille maximale (une femelle) est d’environ 8cm. Les spécimens sont relativement sombres et de couleur brune. Un spécimen plus jeune et plus clair de couleur montre clairement une bande noire sur la partie inférieure de la nageoire caudale. Il n’y a aucun doute que ces poissons correspondent à l’eseki. Le nombre de rayons de la dorsale et de l’anale ainsi que le nombre de vertèbres abdominale et caudale de mes spécimens sont strictement identiques à Neolamprologus christyi (je viens juste d’examiner les paratypes la semaine dernière). Cependant, contrairement au N. Christyi, le nombre d’écailles sur la ligne latérale est significativement moindre (moins de 40 contre 50-57).

La raison pour laquelle je n’ai pas décrit cette espèce est la suivante: Durant une expédition scientifique menée en Tanzanie en 1992 par le ‘Royal Belgian Institute of Natural Sciences’ (IRSNB, Dr. Eric Veheyen) et le Africa Museum’ (MRAC, Dr. Jos Snoeks), une espèce nommée ‘N. christyi affinis’ fut collectée. Bien que quelques résultats (phylogénétiques) de cette expédition aient été publiés, la révision taxonomique du matériel collecté n’est pas achevée. Dans le domaine de la taxonomie existe une règle tacite et non écrite qui dit de ne pas marcher sur les plates bandes des collègues qui ont entamée un travail. Et certains d’entre nous respectent cette règle.

 

 

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