Muchio Hori (Wakayama Medical College, Japan) s’est intéressé de près à la bouche des cichlidés pour différentes raisons. Hori (1993) a ainsi étudié un mangeur d’écailles du lac Tanganyika dans son milieu naturel, Perissodus microlepis. Il existe dans le lac pas moins de 7 espèces de cichlidés qui survivent en se nourrissant d’écailles de poissons vivants, un mode alimentaire appelé lépidophagie. Pour se faire, le mangeur d’écailles s’approche de son but et frappe sa victime pour lui enlever des écailles qu’il prend ensuite en bouche. Perissodus effectue cette manœuvre en venant de derrière pour ne pas être aperçu par sa victime. Il est ainsi obligé de frapper le poisson avec un angle oblique, soit par le bas en venant de la gauche, soit en venant de la droite.

Pour toutes les autres familles de poissons, l’histoire se serait arrêté là, mais pas avec les cichlidés. Hori et ses collègues ont mené une étude pour montrer que les mangeurs d’écailles se sont magnifiquement adaptés à ce mode d’attaque: ils sont soit droitier, soit gaucher !
Tout d’abord, Hori a noté que la bouche de ces poissons n’était pas symétrique quand on les regardait de face. Certains individus avaient une bouche tournée vers la droite, d’autres vers la gauche. Ensuite observa de près chaque poisson après une attaque. Il remarqua alors que les gauchers attaquaient toujours leur proie sur leur flanc droit et inversement. Dans tous les cas, la bouche tordue offrait au Perissodus un meilleur angle d’attaque.
 Perissodus microlepis, Lepidiolamprologus attenuatus, ‘Lamprologus’ lemairii, non loin d’un rassemblement de Cyprichromis, à Slaf rock.
Pour en être certain, Hori analysa le contenu des estomacs des droitiers attaquant par la gauche et comme prévu, il ne trouva que des écailles appartenant aux flancs gauches des proies. Apparemment, il est possible de connaître l’origine des écailles de par leur structure. De plus, il constata que l’aptitude à être gaucher ou droitier se transmettait des parents aux alevins à un âge relativement précoce alors que le frai reste sous protection parentale.
Mais les surprises ne s’arrêtent pas là. En dépit de leur bouche impressionnante, les Perissodus ne sont pas des chasseurs très heureux. Seulement une attaque sur 5 parvient à son but.
Pourquoi cela ?
Parce que la victime surveille ses arrières. En regardant comment les proies se méfiaient, Hori remarqua que les victimes regardaient principalement du côté le plus vulnérable, celui par lequel les Perissodus attaquaient. Par exemple, si une population locale de Perissodus était droitier, les poissons jetaient un oeil principalement de leur côté gauche. En conséquence de quoi, les rares attaques effectuées du côté droit, ont plus de succès. Les individus ainsi capables d’attaquer de ce nouveau côté pouvaient donc mieux s’alimenter et ainsi se reproduire plus aisément. La population des droitiers laissait donc place à une population de gauchers. Et le jeu continue ainsi de suite, générations après générations, avec des proies qui surveillent constamment derrière leurs épaules ces cichlidés pour le moins surprenants.
Observation personnelle:
Il m’a été donné d’observer en aquarium, que certaines espèces se sont adaptées aux attaques de ces mangeurs d’écailles, en l’occurrence Plecodus paradoxus. J’ai ainsi pu observer régulièrement en aquarium, que les Xenotilapia spilopterus (Lyamembe), savent parer aux attaques…
Comment ?
Simplement en faisant face à l’assaillant, ils sentent lorsqu’une attaque se prépare et se mettent immédiatement face à l’agresseur, qui abandonne sa quête sur le poisson.
B. J.
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