Tropheus sp. Kaiser “Ikola”

Tropheus sp. Kaiser “Ikola”

Tropheus Ikola

Kaiser “Ikola” Story
(Tropheus Sp. Kaiser “Ikola”)

Tropheus sp. Kaiser “Ikola”

Eric Genevelle (mars 1999)

L’histoire que je vais vous raconter n’est pas imaginaire et n’est ni la retranscription d’aventures que l’on m’aurait narrées. Cette histoire est vraie, tout simplement parce que c’est la mienne.

Je me présente.

Mon nom est Kaiser Junior. Si cela ne vous dit rien, je suis ce que vous appelez dans votre jargon cichlidophile un Tropheus sp. “Kaiser” Ikola. Pourquoi sp., non parce que je diffère de mes voisins par un caractère douteux mais parce-que les Ichtyologues ne se sont pas encore donnés la peine de me décrire scientifiquement. Je suis donc une sorte de Tropheus, mais tout aussi vénérable que les autres espèces scientifiquement décrites comme Tropheus moorii, brichardi, duboisi et annectens.

J’ai entendu dire que d’autres communautés étaient dans le même cas que moi, à hériter du préfixe sp., comme les sp. Red ou sp. Black. On leur a donné ce nom en référence à leur couleur principale. Remarquez que pour moi aussi, Kaiser est en référence à mon patron de coloration. Cette superbe barre jaune sur mon corps noir ébène ne pouvait justifier une autre appellation. Cette barre jaune remonte légèrement dans la dorsale et couvre la base de l’anale. Lorsque nous nous excitons un peu, le noir présent sur notre tête vire au beige pâle et notre barre jaune brille de tous ses feux. Par coquetterie, le dessus de l’œil est rouge, de la même couleur que les quelques rares ocelles qui décorent la nageoire anale des mâles. Comme chez vous les humains, il y eut de fâcheuses imitations ou plus exactement des usurpations de patronyme.
En effet, au nord du lac Tanganyika, près du village de Kiriza au Congo, d’autres Tropheus ont voulu s’appeler Kaiser en raison de leur barre jaune sur le corps. Usurpation vous dis-je, car cette barre est sans comparaison aucune avec la mienne; elle est beaucoup plus fine et vire parfois à l’orange. Ces derniers feraient partie des Tropheus sp. Black. On s’est donc longtemps battu pour obtenir le statut de Kaiser 1 ou de Kaiser 2 mais aujourd’hui, tout semble rentrer dans l’ordre, c’est à dire que le Kaiser N°1, c’est moi.

Tropheus sp. Black “Kiriza”

Quand je dis moi, c’est un peu me vanter. En effet, je fais partie d’une des populations de Tropheus les plus nombreuses et les plus étendues sur le lac comparativement aux autres espèces chromatiques. Mes copains et moi couvrons une zone comprise entre le nord d’Ikola et une zone rocheuse proche d’Isanga (Tanzanie), soit une zone de plus de 30 km de côte. Impressionnant pour une race chromatique de Tropheus quand on sait que d’autres races ne vivent que sur un périmètre de quelques centaines de mètres carrés (Tropheus moorii Ilangi en Zambie par exemple). Cette zone est dépourvue de larges plages de sables, ainsi, il n’y a pas d’obstacle naturel qui aurait pu freiner notre expansion. En deux mots, nous sommes bien installés.

Notre “sweet home” comprend plusieurs étages, de la zone superficielle à proximité du rivage aux zones un peu plus profondes, mais n’excédant pas 10 mètres. En deçà, les algues ne poussent plus sur les rochers, laissant place à une sorte de croûte minérale couverte de sédiments. Ces algues nous sont indispensables, car elles sont la base de notre alimentation quotidienne. D’ailleurs, c’est bien simple, quand nous ne chamaillons pas, nous passons notre temps à racler avec nos dents (très bien faites à ce sujet) la surface des roches pour brouter… Ce travail incessant est parfois fastidieux, car ce type de nourriture est assez pauvre en protéine et il faut sans cesse racler, racler, et racler. Remarquez, manger trop vite et trop riche ne nous réussit pas, notre transit intestinal étant réfractaire à tout ce qui est protéine animale trop riche et autres nourritures difficilement assimilables.

Une espèce de Tropheus, bien que ne vivant pas au même endroit que nous, se serait adaptée aux zones plus profondes et à une nourriture composée non seulement d’algues, mais aussi de petits crustacés et invertébrés présents dans ces zones. Je vous parle de Tropheus duboisi. Vous savez, cette espèce de Tropheus dont les juvéniles sont noirs avec une multitude de petits points blancs sur le corps et les nageoires ! Pour tout vous dire, si cette espèce vit dans les zones plus profondes, c’est parce que d’autres espèces de Tropheus plus vigoureuses les ont chassées de leurs “pâturages”. En deux mots, c’était ça ou rien ! Et oui, la compétition est rude dans nos contrées. Trouver de quoi se s’alimenter, conquérir de belles femelles en vue de procréer, ça demande parfois un peu d’intolérance. Les hommes interprètent parfois cela comme du mauvais caractère. Je voudrais les y voir, eux, à 50 en train de parlementer autour d’un saucisson et d’une demi-baguette !

Tropheus duboisi “Maswa” (Juvénile)

Nous savons cependant être solidaire et chaque individu a ainsi sa place dans la communauté. Par “caillou”, il y a un chef, des sous-chefs et des sous-sous-chefs qui s’apparentent à des sub-adultes pas chef du tout par manque d’émancipation. Le chef s’occupe des femelles et gère l’agressivité de ses subalternes. En effet, quand deux sous-chefs en viennent aux combats de bouche (chez vous, c’est les mains), le chef intervient et les sépare. Pourquoi ? Tout simplement parce que si un des deux combattants venait à gagner, il pourrait alors envier la place du chef. Logique non ! Quand un individu est trop malmené, il se fait porter pâle, voire imite le comportement d’une femelle soumise (ce qui ne trompe personne bien longtemps), ou change de caillou pour tenter sa chance ailleurs. Les femelles sont plus paisibles, encore que certaines… Le moment où elles nous laissent en paix, c’est quand elles incubent leur petits au fond de leur cavité buccale. Cette phase dure environ une trentaine de jours. Elles migrent alors dans les eaux superficielles pour relâcher leurs alevins dans des eaux plus sures, et mieux oxygénées. Nos chère progéniture ne présente pas le même patron de coloration, histoire de mieux se camoufler. Ils sont couverts de barres verticales très fines, toutes en dégradé de marron et de beige, la barre jaune apparaissant uniquement vers l’âge de 6 mois.

On dirait même que la vie était un grand lac tranquille jusqu’au jour où nous avons entendu le bruit du canot à moteur.

Bateau de collecte.

Ce n’était pas le premier que nous croisions. Régulièrement diverses embarcations en bois passaient aux alentours, que ce soit des contrebandiers sévissant à la faveur de la nuit sur les côtes Tanzaniennes au sud des Monts Mahale, ou des pêcheurs aux lamparos allant pêcher nos sardines locales dans les eaux profondes du lac. Parfois des pêcheurs isolés nous faisaient quelques frayeurs bien que leur choix semblait se porter vers des prises plus importantes comme des “Kiambomkomo” (Cyphotilapia frontosa) ou des “Kué” (Boulengerochromis microlepis).
Mais revenons sur ce bateau. Il s’était arrêté à notre verticale et une certaine agitation semblait se faire sentir à son bord. Qu’y avait-il de si intéressant dans notre sweet home pour daigner y faire une halte ? Des hommes vêtus d’une légère combinaison noire ou d’un simple tee-shirt sont alors venus à notre rencontre. D’étranges bulles d’air s’échappaient de leur bouche alors qu’ils semblaient préparer un matériel invisible.

 

Départ en plongée.

Peu farouches et surs de nous (nous n’avions pas fait la loi sur notre territoire pour nous laisser importuner par des visiteurs occasionnels), nous observions la scène et certains d’entre nous avaient déjà repris leur activité quotidienne (la recherche de nourriture et la conquête amoureuse). C’est alors que deux des intrus se sont rapidement dirigés vers nous. Nous avons alors viré à 180° et pris le chemin de la fuite, qui fut de courte durée. Le piège s’était déjà refermé sur nous. Deux complices nous attendaient au virage avec un filet d’une dizaine de mètres tendu entre les rochers. La panique fut certaine et nous nous attendions à nous faire dévorer dans les secondes suivantes. Une main vint alors me saisir dans ce dédale de fils et par miracle, je retrouvais la sortie, mais captif, pour me retrouver finalement dans une nasse accrochée à la ceinture de mon ravisseur. Le tout avait duré à peine 2 minutes. Je n’étais pas le seul à m’être fait prendre, et 4 de mes compagnons partageaient la même fortune. Non content de sa prise, le ravisseur continuait sa besogne et au bout de 20 minutes, plus de 50 confrères me rejoignaient dans la bourriche.

Collecteur de poissons.

 

 

Enfin vint la remontée vers la surface. Je dis enfin, mais pour moi, simple Kaiser de rang sous-chef promis à de grands espoirs, ce n’était pas naturel. Au point où j’en étais, autant tenter la grande aventure du départ vers un autre monde. De toute manière, on ne m’offrait pas le choix.
D’autres hommes attendaient dans le bateau et plus vite que l’on ne le dit, je fus placé dans une bassine en plastique d’environ 100 litres et d’une hauteur d’eau d’environ 15 cm. Nous étions une bonne centaine dans ce bac, tous des Kaisers. Le pont du bateau en était couvert, environ une trentaine de ces petites cuves en plastique et nos ravisseurs n’avaient que les plats-bords pour circuler. L’eau commençait à chauffer sous le soleil. Exactement et l’oxygène se faisait de plus en plus rare. Déjà, les kidnappeurs s’activaient et changeaient l’eau de nos piscines, et cela, toutes les deux heures. Au moins, ils semblaient vouloir bien s’occuper de nous. Le canot se remit alors en route après quelques heures passées là à attendre que la nuit veuille bien tomber. Le voyage dura 3 jours et chacun d’eux voyait son cortège de poissons arrivés, dont certains avec des formes et des couleurs que je n’avais jamais vues auparavant. Comme quoi, l’aventure a parfois du bon.

Lorsque nous sommes arrivés à l’embarcadère de Kabwe en Tanzanie, l’équipe nous débarqua avec grande précaution. Il faut dire que depuis le jour de notre capture, soit le 26 janvier 1999, nous étions un peu à l’étroit et malmené dans nos prisons minuscules. J’ai su plus tard que les hommes se complaisaient chaque jour dans ce type d’ambiance. Le métro qu’ils appellent ça ! Rapidement, ils nous ont placé dans des grandes piscines en plastique de plus grande capacité pour attendre dans de meilleures conditions l’arrivée du camion qui devait nous transiter jusqu’à Dar Es Salaam en Tanzanie.

C’est là que se situe la base de la compagnie de collecte African Diving en Tanzanie. Le transport fut pénible, dans le noir, sans changements d’eau et toujours à jeun. Au moins, on ne risquait pas de polluer l’eau, ce qui était somme toute préférable étant donné que plus nous avancions, plus le lac s’éloignait.

 

 

Camion pour acheminer les caisses de Cichliés.

Après deux jours de voyage sur des routes plus ou moins praticables, notre ville étape pointait à l’horizon. Mikael Karlsson, gérant Suédois de la société avait été prévenu de notre arrivée par e-mail depuis Mpimbwe et nous attendait les bras ouverts. Depuis l’Europe et le Monde entier, les clients s’affolaient dans l’attente d’une nouvelle stock-list promise quelques semaines plus tôt. Nous étions, non plus des Kaisers, mais des rois. Il s’en suivit alors un examen médical approfondi, désinfection des plaies occasionnées par le transport, tris des espèces (je retrouvais alors mes compagnons de chambrée), et des sexes. Les mains étaient expertes et l’opération rapide. En trente secondes, nous étions comme classés ou étiquetés. Un point semblait cependant leur avoir échappé: ils n’avaient pas fait de tri en fonction de notre rang social. Ainsi, je me retrouvais à côté de mon chef de cailloux, quelque peu fatigué par notre mésaventure, et une série de sous-sous chefs sans revendication. C’était peut-être l’occasion idéale de tenter sa chance et chose fut faite pendant la nuit qui suivit. La récompense était bien mince, juste un coin de 10 cm2 au fond d’un bac nu, sans pierres, et pas une femelle pour pavaner.

Pendant ce temps, Mikael envoyait la liste de son trésor aux importateurs et en deux jours, tout semblait réglé. Nous n’avions pas à nous occuper du billet d’avion, nous voyagerions dans la soute. Vendredi 11 février fut le jour du deuxième grand voyage. Au lever du lit, emballage dans des sacs plastiques remplis d’un peu d’eau et d’oxygène, puis rangement des sacs à l’horizontale dans des boxs en polystyrène pour nous protéger du froid (ou du chaud) et des chocs. En tout, nous étions 30 de notre groupe par box. Direction aéroport pour un vol direct vers Amsterdam, plaque tournante des cichlidés européens. Les hommes de Mikael avaient mis un anesthésiant dans l’eau des sacs. Ça shoote un peu, mais le temps passe plus vite. Arrivée à Amsterdam puis transfert dans un vol de la KLM vers Paris Roissy Charles de Gaulle.

 

Emballage des poissons.

La douane.

Plus difficile qu’on ne le croit. Non, je ne suis pas dans la liste des espèces protégées selon la convention de Washington. C’est écrit sur le papier (l’original) qui m’accompagne. Viennent ensuite les documents pour l’inspection vétérinaire qui n’a rien d’une inspection sanitaire, puisqu’ils n’hésitent pas à faire crever des poissons s’ils n’ont pas tous les papiers en règle (les photocopies ne sont pas valables, je vous le jure, des copains sont morts à cause de ça !). Bref, pour nous, il n’y a pas eut trop de problèmes, le commanditaire a su bien gérer la chose. Il ne manquait plus que ça, dépérir au fond d’un sac à 80 km du but final !

Changement de propriétaire. L’importateur se présente. Stress, avion toujours en retard, Il est 19 heures du soir (samedi 12 février). Gros bras et quelques longues minutes plus tard, autoroute A1 direction PARIS. Arrivée au magasin, les bacs sont prêts. Acclimatation en douceur. Enfin, en douceur, vous parlez d’une douceur, elle est où mon eau à moi. Ici, pas de carbonates des traces de produits douteux qui piquent les branchies, pas de soleil hormis la froide couleur des néons. Il est loin le lac.. Il est loin. Rapidement, nous sommes plongés dans l’obscurité pour un premier traitement au DMZ qui a pour objectif de nous vider les intestins où prolifèrent toutes sortes de parasites et vers sauvages qui ont fait avec nous le voyage d’Afrique. Le propriétaire des lieux nous gratifie en plus d’une zone de désinfectant (Tétracycline) pour nettoyer et désinfecter les plaies occasionnées par le transport. Quelle vie ! Et pendant ce temps, pas le temps de s’occuper des femelles, bien qu’à premier coup d’œil, il y a deux femmes pour un homme. Prometteur.

Fishroom.

Dimanche, lundi, rien ne se passe et la zone semble déserte. Je jette un regard à travers la vitre et me rend compte rapidement que je ne suis pas le seul dans cet endroit. Des dizaines de bacs nus sont empilés les uns sur les autres, des bacs qui grouillent de poissons encore stressés à la recherche d’un peu de nourriture. C’est vrai que le DMZ nous a quelque peu vidé, aussi, il tarde à se sustenter. Mais pas le moindre caillou à racler, ni la plus maigre algue sur les vitres à se mettre sous la dent. Désespérant.

Mardi 27 février après midi. Des hommes sont là depuis une bonne heure quand l’un deux sort un filet miniature et commence à fouiller dans notre bac. Rapidement, je fais partie des captifs. Retour dans un sac en plastique, nouvelle dose d’anesthésiant (Phenoxy-2-ethanol), re-carton et re-voiture. Une heure plus tard, arrivée au club d’aquariophilie de Guyancourt (78). Mise à l’eau dans un bac de 400 litres encore plus désert que les précédents, pas même un grain de sable. Nous sommes 12 Tropheus sp. Kaiser Ikola (4 mâles et 8 femelles) et 6 Tropheus sp. Red Kalambwe. Tous partagent la même expérience que moi (la capture, le voyage, les sacs, etc., etc.). Mise au noir et deuxième traitement au DMZ à raison de 1g par 100 litres d’eau. Le lendemain soir, changement de 50% du volume d’eau et DMZ once again à la même dose. Enfin, en dernier lieu de l’ultra levure en gélule. Il paraît que c’est pour reconstituer la flore intestinale. Ce n’est pas du luxe croyez-moi, car après 3 traitements consécutifs, je suis complètement vidé.

Tropheus sp. ‘Ikola’ – paire.

Jeudi soir, repêche, sexage et mise sous sac. Vous imaginez la suite: voiture. Et là, miracle. Après plus 15 jours de vie nomade, devant moi se dresse un aquarium digne de ce nom. 1100 litres. Des plantes, des roches, des pierres, du sable, un vrai bonheur. Après 30 minutes à mijoter au bain marie dans cette idylle en miniature, nous sommes enfin lâchés. CA Y EST ! Destination finale. Juste de quoi apprécier la beauté des lieux et il faut se mettre rapidement à l’ouvrage. En effet, je compte profiter de ce certain laxisme observé chez les autres nouveaux débarqués pour mettre les choses au point, c’est à dire, imposer mon nom et ma place au sein de la communauté.

Sitôt dit, sitôt tenté. Je dis “tenté, car les autres mâles ont eut la même idée. C’est ainsi qu’à peine 5 minutes dans notre nouvelle sweet home, je me prenais déjà la bouche avec un confrère. Au bout de deux heures, la hiérarchie était presque faite. J’étais encore sous-chef. Décidément ! L’autre sous-chef avait perdu quelques écailles dans la bagarre et je le tenais à bonne distance. Quand au chef, décidément, il est encore trop fort. Mais je suis encore jeune et un jour, je vous le promets, toutes les femelles en pâtiront pour moi. En attendant il faut penser à manger et ce n’est pas ce que semble vouloir me donner le nouveau propriétaire des lieux qui va m’ouvrir l’appétit. Reste que d’autres mangent. Si je veux prendre des forces et conquérir la place que je mérite, il va falloir mettre de la bonne volonté.

Note de l’auteur: certaines dates sont approximatives à quelques jours près, notamment en ce qui concerne le parcours africain.

 

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Résumé du parcours du combattant.

Je tiens tout particulièrement à remercier Mikael d’African Diving et Eric d’Abysse pour les informations précieuses et les photos en Afrique.

 

 

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