‘Lamprologus’ finalimus

‘Lamprologus’ finalimus

Lamprologus finalimus

‘Lamprologus’ finalimus – Par Eric Genevelle (Septembre 2001)

 

Lamprologus finalimus

 

C’est qui celui là ? un nouveau ? Que nenni, sa description date de 1931. Et ça ressemble à quoi Lamprologus finalimus ? Faites comme moi, fouillez sur le net, dans tous les ouvrages cichlidophiles, consultez les stock list, demandez aux copains. Conclusion : à part la description des auteurs (Nichols & LaMonte) qui sont, eux aussi passés à la postérité (à défaut de d’alcool) et une étude comparative menée par Poll en 1984, on ne sait rien outre que le seul spécimen connu est celui de l’holotype.

Pour le reste, 99% de ce qui a été écrit sur ce poisson est faux, comme les rares photographies ou dessins qui circulent ça et là dans les livres. Comme me le disait Heinz Büscher, à chaque fois que l’on trouve un poisson sans arriver à lui coller un nom, on imagine avec envie que ce soit le fameux ‘Lamprologus’ finalimus. Le dernier en date à avoir cru retrouver ce poisson (dans la bouche d’un Astatotilapia bloyeti) est notre ami Jérôme Thierry. Mais c’est une autre histoire.

Oubliez donc tout ce qui a été dit sur notre poisson et ouvrez grands vos yeux. Tanganyika Cichlids, aidé des pointures incontournables que sont Büscher, Konings, Stiassny et Allgayer, est allé à la pêche !

1931, des nouvelles du Tanganyika

Pour trouver des informations fiables sur cette espèce, inutile d’ouvrir vos ouvrages cichlidophiles. En effet, la photo que l’on trouve dans les « secrets du Tanganyika », p149 sous le nom de ‘L’. cf. finalimus est en réalité un Neolamprologus ventralis (Photo prise à Kigoma par Horst Walter Dieckhoff). H. J. Herrmann reprendra cette information dans son Aqualex et conclura que le ‘L’. cf. finalimus de Dieckhoff est un N. ventralis. Dans le Lexicon d’Axelrod p 78, la photo prise à Magara par Pierre Brichard montrant un ‘L’. finalimus est aussi un N. ventralis. Dans la première édition de Tanganyika Cichlids d’Ad Konings, le dessin du ‘L’. finalimus p 107 correspond à un autre poisson (ne me demandez pas lequel, ce n’est pas le thème du jour). En fait, la seule information valide qui ait été publiée à ce jour est que le spécimen type possède un liseré noir sur la nageoire anale. Pour le reste, lisez la suite.

Je disais donc que pour trouver des informations fiables, il faut communiquer avec les rares personnes qui ont vu ce poisson. Et elles ne sont pas légion (du moins, les vivantes). En effet, les auteurs sont au paradis des poissons, comme Max Poll qui a travaillé sur cette espèce en 1984 dans sa vaste révision des cichlidés du lac. Heureusement, il reste les écrits, succincts, mais précieux. Il y a aussi Büscher qui a une radio aux rayons X de l’holotype et Mélanie Stiassny qui a observé le spécimen lors de son étude sur les Lamprologini en 1997.

Mais revenons dans les années 30. Uvira, lac Tanganyika, à l’extrême Nord de la côte Ouest du lac, République Démocratique du Congo. Le Dr William K. Gregory et Mr. H. C. Raven collectent des cichlidés et les envoie à l’American Museum of National History de New York pour étude. Parmi cette petite collection, un petit cichlidé intrigue J. T. Nichols et F. R. LaMonte. Il présente en effet des caractéristiques présentes chez aucun autre cichlidé du lac. Ils remarquent que cette petite espèce présente quelques traits communs avec ‘Lamprologus’ calliurus et ‘Lamprologus’ reticulatus (synonyme de ‘Lamprologus’ callipterus), mais s’en distingue par le nombre de branchiospines sur les arcs branchiaux.

Lamprologus finalimus

D’autres caractéristiques du type (AMNH 9689) sont notées par nos auteurs comme la forme des dents (petites et coniques avec 6 grosses dents sur le devant de chaque mâchoire), le nombre de rayons sur les nageoires, la forme de celles-ci (arrondie pour les pectorales, tronquée pour la caudale, pointue pour les ventrales), la forme de la bouche qui est légèrement oblique, le nombre d’écailles et les principaux rapports de mesure habituels.

Sur le plan de la coloration, les auteurs précisent que dans l’alcool (car jamais observé ni décrit de son vivant), le spécimen est brun avec une petite tache noire sur la partie supérieure de l’opercule. Le corps présente de fines rayures horizontales. Point important, la nageoire dorsale présente des barres obliques dans le sens inverse des rayons. Enfin, l’anale présente un fin liseré noir.

En plus de cette brève description (et de quelques autres notes qui ne font pas avancer de manière significative cet article), les auteurs ont eut l’extrême gentillesse de nous offrir un dessin. Sur ce dernier, outre les caractères précédemment décrits, on remarque que sur les nageoires ventrales (ou pelviennes), ce n’est pas le premier rayon qui est le plus long, mais les rayons médians.

Cette observation est fondamentale car, selon les critères adoptés par Poll en 1986, cela fait de cette espèce un ‘Lamprologus’, contrairement aux Neolamprologus où c’est le premier rayon qui est le plus long. Certains auteurs avaient été tenté de comparer le ‘L’. finalimus au Neolamprologus caudopunctatus. En effet, Konings, selon les informations qu’il avait en sa possession, disait que le ‘L’. finalimus ressemblait à un caudopunctatus ou à un leloupi avec en plus un liseré noir sur l’anale. Il faisait remarquer que ni le caudopunctatus, ni le leloupi n’étaient trouvés près d’Uvira. De plus, Heinz Büscher précise, après avoir observé la radio aux rayons X, que la structure de la colonne vertébrale du ‘L’. finalimus est très différente de celle de ces deux espèces. Aujourd’hui, si la remarque sur le liseré noir reste valable, elle est inutile car le caudopunctatus et le leloupi possèdent des ventrales en forme d’arc (le premier rayon dur est le plus long), et pas le finalimus.

Espèces citées à titre de comparaison

'Lamprologus' callipterus

‘Lamprologus’ callipterus

Neolamprologus caudopunctatus

Neolamprologus caudopunctatus

'Lamprologus' lemairii

‘Lamprologus’ lemairii

'Lamprologus' leloupi

Neolamprologus leloupi

Poll, en 1984, avait noté cette différence essentielle et avait concentré son étude en comparant le finalimus avec d’autres espèces connues ayant les nageoires ventrales avec les rayons médians proéminents (‘L’. lemairii et ‘L.’ callipterus). Il faut dire que si Poll a fait cette étude, c’est qu’il doutait profondément de la validité du finalimus. Il en faisait même la remarque, p 348 dans son rapport d’expédition en 1946 : « Les caractères que ‘L’. finalimus partagent avec cette espèce (‘L’. lemairii) sont très nombreux et motivent presque sa mise en synonymie. Toutefois nous nous contenterons de la mettre provisoirement en doute, eu égard à deux différences qui ne seront peut être pas maintenues dans la suite… » Il cite alors les différences relatives au patron de coloration et à la forme de la caudale, tout en les relativisant puisque ces « différences pourraient être en rapport avec l’état juvénile du spécimen décrit par Nichols et LaMonte ».

Il décide donc, pour s’en assurer, de comparer notre finalimus avec les espèces lui ressemblant le plus (procédé classique et indispensable en systématique). Exit donc le caudopunctatus et le leloupi pour les raisons précédemment évoquées. La comparaison faite par Nichols avec le ‘L’. calliurus est abandonnée car la forme de la bouche diffère. ‘Lamprologus’ lemairii tient un moment la corde, mais le patron de coloration diffère trop de celui du finalimus qui ne présente pas de taches noires sur le corps et anatomiquement parlant, le nombre de branchiospines, de rayons et d’écailles ne correspondent pas. Enfin, mesures prises, la forme du corps diffère trop de ‘L’. callipterus (de plus, la forme de la caudale de cette espèce est arrondie).

Sans entrer dans d’autres détails, Poll se rend compte de la parfaite validité du ‘Lamprologus’ finalimus. Notre ami (le finalimus), après ce bref passage à Tervuren en Belgique retourne donc, accompagné de son bocal d’alcool, dans les rayons poussiéreux de l’American Museum of National History de New York. Il en ressortira un peu avant 1997, année où Mélanie Stiassny se penche sur l’anatomie des Lamprologini Africains.

Elle passe ainsi en revue la plupart des espèces et s’attarde sur la présence d’un petit cartilage osseux situé dans la mâchoire. Sa présence (ou non) est significative d’un clivage dans l’évolution de la tribu des Lamprologini. Selon les résultats de son étude, les Lamprologini ayant un cartilage (en lieu et place d’un os à cet endroit de la mâchoire) sont des Neolamprologus (car l’espèce type du genre (N. tetracanthus) en est dépourvue) et les autres, des ‘Lamprologus’ en attente d’attribution d’un nouveau genre.

Le ‘Lamprologus’ finalimus devient donc un ‘Lamprologus’, comme le caudopunctatus et le leloupi (tiens, comme on se retrouve…). Mais avant d’aller trop vite en besogne et d’attribuer à ces espèces un nouveau taxon définitif, d’autres caractères devront être étudiés. En effet, comme le dit à juste titre Heinz Büscher (com. pers.), cette notion de cartilage dans la mâchoire inférieure n’est qu’un élément permettant de reconstruire l’arbre phylogénétique des Lamprologini. Il y a d’autres critères qui doivent rentrer en ligne de compte et donner des conclusions qui doivent abonder dans le même sens afin de déterminer un arbre le plus exact possible. Et pour le moment ce n’est pas encore le cas.

Et depuis 1997 ?

Et bien notre poisson dort tranquillement dans son bocal. Jusqu’à ce qu’un certain Genevelle sorte de sa léthargie et demande au Museum que l’on sorte le finalimus de sa planque toute neuve (et oui, l’American Museum of National History de New York a été complètement restauré) et qu’on le prenne en photo. Car chose étonnante, notre ami n’a jamais eu la chance de figurer sur un quelconque négatif. Il passe donc aujourd’hui à la postérité (un grand merci à Mélanie Stiassny et à Damaris Rodriguez – Ichthyology Department – American Museum of Natural History pour ce superbe cliché).

AMNHNAMNHNAmerican Museum
Department of Ichthyologie

Que dire de cette photo de l’holotype ?

En premier lieu, en superposant le dessin de la description et la photo de l’holotype, on comprend immédiatement que les proportions et l’allure générale du poisson ont été respectés. Ce qui est plus douteux, c’est le patron de coloration. En effet, même s’il est vrai que l’alcool dénature les couleurs, il faut se rappeler que les auteurs eux-même se sont servis du même matériel dans l’alcool pour sa description. En effet, sur le cliché ici présenté, impossible de distinguer la petite tache noire sur l’opercule, le liseré sur l’anale et les barres obliques dans la dorsale. Mais il est vrai que l’œil est capable de détecter des nuances qu’une photo, si nette soit-elle, ne saurait mettre en valeur.

Quant à l’écologie du ‘L’. finalimus, c’est le plus grand des mystères. En dehors du fait qu’il ait été collecté à Uvira, on ne sait dans quel type de biotope il a été trouvé, son régime alimentaire, son mode de reproduction, etc… On est obligé d’extrapoler, un peu à la manière des paléontologues qui retracent la vie de géants disparus de la terre bien avant notre ère. La denture est un premier élément à prendre en compte. Elle nous renseigne sur son régime piscivore ou insectivore, les 6 grosses dents coniques lui servant à capturer ses proies. Plus intéressant est la forme de ses pelviennes avec les rayons médians proéminents. Ce caractère anatomique est rencontré par les espèces vivant à même le substrat. Les nageoires servent alors de pied au poisson. On observe ce comportement chez ‘L’. lemairii, ‘L’. callipterus et chez de nombreux conchylicoles. Cependant, comme nous le faisait remarquer Poll en 1984, ce caractère n’est pas présent chez toutes les espèces vivant à même le sol (‘Lamprologus’ multifasciatus, ‘Lamprologus’ brevis, etc).

Un autre caractère observé chez ‘L’. finalimus semblant indiquer que cette espèce vit à même le sol est la quasi-absence d’écailles sur la région occipitale, le thorax et l’abdomen. Cette particularité, partagée par ‘L’. lemairii et ‘L’. callipterus serait due à un phénomène de convergence morphologique adaptative. Poll pense que cela facilite l’intrusion du poisson dans les coquilles car ce type d’écaillure est commun à beaucoup de conchylicoles (Notez cependant que ‘L’. meleagris, cichlidé conchylicole, possède une région occipitale très écaillée. Comme quoi, il n’y a jamais de règle absolue).

Finalement, ‘L’. finalimus semble avoir un comportement assez proche de ‘L’. lemairii dont on trouve parfois les jeunes dans les coquilles. Et si ces deux poissons se ressemblent sur un plan morphologique (écaillure, forme des pelviennes, etc), cela confirme l’importance de la convergence adaptative à un même milieu.

Reste que si l’on pouvait trouver d’autres exemplaires de cette espèce, cela nous aiderait dans notre démarche. Beaucoup s’y sont cassés les dents. Robert Allgayer a plongé sur zone sans succès dans les années 801 et à notre connaissance, aucun scientifique japonais basé à la station de recherche d’Uvira n’a eut la chance de retrouver notre ami. Le fait de n’avoir qu’un seul exemplaire de cette espèce est propre à semer le doute, comme celui ou le type du ‘Lamprologus’ finalimus pourrait être un hybride naturel entre un ‘L’. lemairii et ‘L’. callipterus. Mais dans ce cas, il aurait très vraisemblablement la nageoire caudale arrondie. Ce qui n’est pas le cas.

Reste aussi l’hypothèse un Cichlidé qui ait été en réalité collecté, non pas dans le lac, mais dans la rivière qui coule dans le lac juste à côté d’Uvira. Ce serait alors pour cette raison que l’on a su retrouver d’autres spécimens. Pareille histoire s’était inversement produite pour le ‘Lamprologus’ stappersii (Pellegrin, 1927) dont l’holotype a été officiellement collecté dans la rivière Sambala, St Louis, près de Moba (Congo). il s’avère aujourd’hui que cette espèce aurait plutôt été collectée à l’embouchure de cette rivière dans le lac Tanganyika et qu’une autre espèce décrite plus tard par Büscher, ‘Lamprologus’ meleagris, soit son synonyme junior . Mais ce ne sont ici que de pures hypothèses.

Références :

Hermann Hans-Joachim: Cichlids from Lake Tanganyika (Aqualex Catalog 1996)
Konings, 1988 – Tanganyika Cichlids 1st edition
Konings, 1998 – Tanganyika Cichlids in their natural habitat – Cichlid Press
Konings, Dieckhoff, Tanganyika Secrets
Nichols & La Monte, 1931 : A new Lamprologus from lake Tanganyika – American Museum Novitates N° 478 – June 9, 1931
Poll, 1946 : Révision de la faune ichthyologique du lac Tanganyika (Annales du Musée du Congo Belge C. Zoologie. Poissons, Reptiles, Amphibies Série I, Tome IV Fascicule 3. P 141-364 / 1946
Poll, 1984 : Un Cichlidé méconnu du lac Tanganyika Lamprologus finalimus Nichols et LaMonte 1931 – Cybium 1984, 8(4) : 88-91
Stiassny, 1997: A phylogenic overview of the Lamprologine cichlids of Africa: a morphological perspective South African Journal of Science Vol 93: Nov/dec 97

1 Au cours des années 2010′, différentes équipes de scientifiques ont prospecté le secteur de récolte de l’espèce, mais sans succès, ‘Lamprologus’ finalimus reste une énigme.

 

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