Str. reproductrices (classification)

“Vers une première classification”

Par Eric Genevelle (2000)

Introduction / Vers une première classification / La structure familiale / Les techniques de garde / Une étonnante plasticité comportementale / Le choix du partenaire /Conclusion & Références

Pour tenter d’ébaucher une première classification de ces comportements, on peut distinguer quatre modes de reproduction distincts au sein de la famille des cichlidés du lac Tanganyika.

Altolamprologus compressiceps (Kantalamba))

Altolamprologus compressiceps (Kantalamba)

Il y a tout d’abord les pondeurs sur substrat caché. Cela représente environ 40% des cas, ce qui est considérable lorsque l’on sait que ce mode de reproduction n’existe dans aucun autre des grands lacs africains (Malawi, Victoria). Ce mode de reproduction est adopté par toute la famille des Lamprologini. Cette ponte sur substrat caché se divise elle-même en plusieurs modes de reproduction en fonction du biotope dans lequel ces espèces vivent. Ainsi, si beaucoup de ces pondeurs utilisent les interstices ou supports rocheux pour pondre leurs œufs, d’autres utilisent de manière occasionnelle ou définitive des coquilles d’escargots pour le faire. Ces espèces sont dites Conchylicoles (stricts ou occasionnels, nous y reviendrons plus tard).

Boulengerochromis microlepis (stratégie reproductrice pondeur sur substrat découvert)

Boulengerochromis microlepis (femelle et larves à Lyamembe)

Citons ensuite les pondeurs sur substrat découvert. Ce type de comportement est relativement rare dans le lac, certainement en raison des risques importants de prédation liés à cette technique primitive. Il est cependant adopté par Boulengerochromis microlepis, le plus grand cichlidé du lac. Ce mode de reproduction correspond à un type d’investissement particulier. Pour plus de 10.000 œufs pondus, seuls 1 ou 2 atteindront la maturité sexuelle deux ans plus tard (Coulter, 1991). Ces œufs sont de petite taille, d’où un investissement équivalent à une espèce qui pondrait moins d’œufs beaucoup plus gros. Question de stratégie.

L’incubation buccale de type maternelle est utilisée par près de 40% des espèces du lac (contre 100 % au Malawi – hormis Tilapia rendalli – et au Victoria). Dans ce cas, la ponte s’opère sur un substrat rocheux ou sablonneux ou encore en pleine eau chez certaines espèces (comme chez les Cyprichromis et espèces apparentées). La ponte terminée, la femelle prend garde du frai dans sa bouche pendant une période allant de 18 à 50 jours et plus selon les espèces et les conditions environnantes. Ce mode de reproduction évolué semble être apparu chez 5 lignées différentes (Nishida & al., 1991, 1997) (rappelons ici que les cichlidés du lac ont une origine polyphylétique (plusieurs ancêtres avec 7 lignées selon les dernières études en la matière), et que l’âge du lac avoisine les 12 millions d’années) :

Tylochromini (ex : Tylochromis polylepis) : 16 millions d’années

Oreochromini : 15 millions d’années

Bathybatini (ex : Bathybates ferox) : 14 millions d’années

Trematocarini : 12 millions d’années

Lignée des « Haplochrominien » (ex : Tropheini, Ectodini, etc.) : 10 millions d’années

Tribus des cichlidés

Tribus des cichlidés

Cynotilapia zebroides (nkata bay)

Cynotilapia zebroides (nkata bay)

On assiste là à un phénomène de convergence comportementale entre espèces de lignées distinctes (alors qu’au Malawi, l’incubation buccale maternelle n’est issue que d’une seule lignée, celle des « Haplochrominiens » du lac Tanganyika).

Si la majorité des incubateurs buccaux nécessite la présence d’un substrat pour se reproduire (roche, sable), certains incubateurs effectuent cette reproduction en pleine eau. Les espèces de la tribu des Cyprichromini (à l’exception du Cyprichromis pavo (Heinz Büscher – Com. pers.)) en sont les meilleurs exemples. Ce type de comportement a aussi été observé chez une espèce du lac Malawi (Copadichromis chrysonotus). L’avantage procuré par cette technique est de permettre à ces espèces de ne pas entrer en concurrence avec la quasi totalité des autres espèces du lac qui doivent acquérir un territoire sur le substrat. Mais cette ponte en pleine est aussi certainement intimement liée au fait que ces espèces se nourrissent au sein de cette même colonne d’eau libre (Büscher – com. pers.).

Pour finir, citons l’incubation buccale bi-parentale, adoptée par environ 20% des espèces. Dans ce cas, les deux parents se partagent le rôle d’incubateur, généralement avec transfert des larves à mi-parcours. Lorsque le mâle est absent, la femelle se charge elle-même de toute la période d’incubation (observation faite en aquarium). L’incubation buccale bi-parentale a un avantage certain. Elle permet à la femelle de se nourrir plus rapidement que si elle devait assurer seule cette tâche. Elle est donc à même de reproduire des gamètes dans un délai assez court. Mais si ce ‘’pouvoir de récupération’’ était si avantageux, un nombre plus important d’espèces auraient certainement cette technique (Büscher – com.pers.). La contrepartie de ce mode de reproduction est qu’elle nécessite la présence des deux sexes durant toute la période d’incubation avec les risques de perte des œufs par prédation lors du transfert des larves. Ce mode ne favorise pas non plus le mélange des gènes entre populations. Il est ainsi difficile de se prononcer sur le succès de ce mode de reproduction (si ce type de reproduction survit malgré les possibles inconvénients, c’est qu’il n’est pas contre-sélectionné et présente des avantages, voir plus loin) mais si la nature semble nous démontrer qu’il est une étape intermédiaire entre la ponte sur substrat caché et l’incubation buccale maternelle, nous devons reconnaître que ce mode est particulièrement bien adapté dans des environnements où les sites de reproductions sont rares et disputés. L’incubation bi-parentale est pratiquée chez les Eretmodini, sauf Spathodus sp. (Kuwamura & al. 1989, Neat & al. 1999), les Xenotiliapia, Asprotilapia et les Limnochromini. Ce type de reproduction n’est présent que dans la lignée des « Haplochrominien », toutes les autres lignées n’ayant donné que des incubateurs buccaux de type maternel.

Xenotilapia papilio(Tembwe II)

Xenotilapia papilio (Tembwe II)

 

Quelques soient les types de reproduction utilisés, ces derniers doivent contribuer à maintenir l’espèce. Ainsi, le résultat d’une ponte doit en fin de compte donner au moins deux poissons en âge de se reproduire (si on estime qu’un poisson ne se reproduit qu’une fois). Les cichlidés ont donc cherché à ‘’rentabiliser’’ au mieux leur investissement reproductif afin d’arriver à pérenniser leurs gènes (car c’est bien là la clé de toute l’histoire). Si l’incubation buccale permet une meilleure sécurité du frai, il est inutile pour ces espèces de pondre des centaines d’œufs. En contrepartie, un pondeur sur substrat découvert doit pondre énormément d’œufs pour arriver au même résultat du fait de la prédation. De plus, si on prête attention au fait que les alevins bénéficiant de l’incubation buccale doivent rester longtemps en vie sans bénéficier d’apport alimentaire extérieur (hormis quelques espèces qui seront évoquées par la suite), leurs réserves à la naissance doivent être plus importantes que celles des alevins de pondeurs sur substrat qui ont la possibilité de

Cyprichromis leptosoma stratégie reproductrice incubateur buccal

Cyprichromis leptosoma (Isanga)

s’alimenter dès la fin du stade larvaire (soit moins de 7 jours).

La conclusion de tout ceci est que les incubateurs et les pondeurs (tous deux, au sens large) présentent deux types d’œufs. Les incubateurs pondent de 7 à 109 œufs avec une moyenne (effectuée sur 19 espèces représentatives) de 28 œufs et d’un diamètre moyen de 4,7 mm alors que les nidificateurs pondent en moyenne 430 œufs d’un diamètre moyen de 1,8 mm (statistique effectuée sur 12 espèces représentatives). Chez les incubateurs bi-parentaux prolongeant la garde bi-parentale, le diamètre des œufs semble plus petit que chez les incubateurs maternels (ex : Xenotilapia papilio où le diamètre tourne autour de 2 mm (Büscher – com. pers.)). Notez enfin que plus le diamètre des œufs est petit, plus l’investissement énergétique nécessaire à leur production est faible. C’est certainement pour cette raison que la fréquence des pontes des nidificateurs (ou pondeurs sur substrat) est nettement supérieure à celle des incubateurs buccaux.

Pour en terminer (provisoirement) avec l’incubation buccale maternelle, on se doit de remarquer que ce sont les espèces qui adoptent cette technique de ponte qui possèdent le plus grand nombre de formes chromatiques (ex : Tropheus sp., Ophthalmotilapia sp., Cyprichromis sp., etc). En effet, la propagation d’une espèce et son évolution chromatique sont intimement liées à la possibilité qu’a cette espèce d’apporter en un même lieu un nombre suffisant d’alevins pour créer une nouvelle population. Ainsi, dans le cas des incubateurs buccaux de type maternel, il suffit qu’une seule femelle portant des œufs migre dans une nouvelle zone pour établir une nouvelle souche (effet de fondation pouvant être préalable à une spéciation allopatrique).

Résumer ainsi les modes de reproduction serait prendre le problème à la légère. En effet, cette classification succincte n’est que le résultat d’une combinaison de multiples facteurs.

Introduction / Vers une première classification / La structure familiale / Les techniques de garde / Une étonnante plasticité comportementale / Le choix du partenaire /Conclusion & Références

 

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